Les S.A.S. dans le Finistère
4 participants
Page 1 sur 1
Les S.A.S. dans le Finistère
Le lieutenant Thomé et ses S.A.S. dans le Finistère
Camp secret de Fairford le 3 août 19144.
Parmi les jeunes officiers qui encadrent les hommes du 3° S.A.S. le lieutenant Thomé est de ceux que l'action ronge et déprime le plus. Il vient du B.C.R.A. Il a accompli en France de multiples missions, et il peste d'avoir maintenant choisi l'uniforme et une unité régulière, ce qui le contraint à une pesante inaction tandis qu'il suit les communiqués et les combats furieux de ses frères d'armes.
Thomé est responsable d'une demi-compagnie, mais comme tous les officiers S.A.S. il a son stick : douze hommes à la tête desquels quoiqu'il arrive, il sautera en opération. Ses hommes, Thomé les a choisis, et son choix s'est porté au fur et à mesure des arrivées, sur les plus jeunes recrues.
Ils sont tous censés avoir dix huit ans révolus, mais le lieutenant ne s'est jamais leurré. Mis à part le sergent Klein, aucun ce ses "gosses" comme ils les appellent n'a atteint cet âge. Et pour plusieurs d'entre eux, il s'en faut de beaucoup. Au régiment, on les a d'abord appelès les "J.3" puis ils sont devenus les "zazous".
Thomé ne s'est jamais formalisé de ces railleries. Il se montre fier et satisfait de ses "zazous", car depuis un an, ils sont devenus de vrais soldats parmi les meilleurs. Le lieutenant leur accorde une entière confiance.
Des combats, il vient enfin d'en recevoir l'ordre. Dans cette matinée du 3 août, Château-Jobert vient de lui signifier, que lui et son équipe sauteraient en France le soir même.
Les "zazous ont hurlé de joie. Leur exubérance a été telle que dans une chahuteuse explosion, ils ont arraché les piquets de leur tente qui s'est abattue sur eux.
Objectif, Finistère. Largage dans la presqu'île de Plougastel, à proximité de Daoulas. Effectif : la moitié de la compagnie Sicaud. Thomé et ses douze "zazous" en font partie. Mission : créer le chaos dans l'énorme rassemblement de troupes allemandes qui, refluant sous la poussée des Alliés, cherche à faire de toute la pointe de la Bretagne, un camp retranché.
Renseignement sur la Résistance : néant. Assurément partout, des bonnes volontés, mais pratiquement, aucune arme n'a jamais été larguée dans ces régions.
Le lieutenant Thomé est un solide Ardennais de taille mpyenne. Il est d'une évidente puissance : Cheveux, sourcils, yeux et poils sont d'un noir d'encre. Il est âgé de vingt cinq ans.
Ses hommes l'ont surnommé le "Gorille".
Son second, le sergent Klein est un grand Lorrain, tout en longueur, sec et dégingandé.
Il est froid et sourit rarement, se prépare à faire la guerre avec la rage et la haine de ceux de sa race. C'est le meilleur tireur au fusil des deux régiments.
Les "zazous" s'appellent : André Le Nabour (le nabot à cause de sa petite taille), Philippe Dubosc, Mendiondo, Clément, Garros, Briguet, Raymond Paulus, Bellon (il a tout juste quinze ans), Galano, Bruand, et Guy Guichard. Ils forment un étrange panaché d'adolescents rêveurs et professionnels de la violence.
Les "Zazous" viennent d'atterrir en silence et se regroupent sans difficultés. Ils sont tombés dans les fougères. Un seul incident s'est produit, mais il est de taille : Thomé constate que Philippe Dubosc s'est cassé la jambe. Don stick ne comprend que douze hommes. Il s'embusque à proximité d'un sentier et décide d'attendre l'aube.
A quatre heures du matin, deux braconniers empruntent le sentier. Ils sont tout d'abord terrifiés lorsque quatre soldats bondissent et les entourent puis se rassurent ensuite lorsqu'ils constatent qu'ils ont affaire à des Français. Puis c'est la scène habituelle des embrassades, des larmes, des tapes dans le dos.
- Faut aller voir au château, sûr que l'amiral va vous cacher et vous aider. Vu que l'amiral, les boches, il les a jamais piffés.
- L'amiral ?
- L'amiral de Boisanger, renchérit le second braconnier, c'est notre châtelain à Daoulas, c'est à moins d'une lieue.
- C'est un résistant ? s'enquiert Thomé.
- Oh ! dame, un résistant, j'pourrais pas dire. C'est plus un tout jeune, not'e châtelain. Mais ce qui est sûr, c'est qu'on l'a jamais vu copiner avec l'occupant comme certain que je pourrais causer.
- Tu pourrais me conduire ?
- Ma foi, en partant tout de suite à travers champ, vous n'aurez qu'à marcher à cinquante mètres derrière nous.
Thomé se retourne vers Klein.
- Prends le commandement et fait confectionner une atelle pour la jambe de
Philippe. Il souffre trop, faites-lui une seconde morphine. Ne bougez sous aucun prétexte. Je vais présenter mes devoirs à la "Royale". Dès que possible, je vous rejoindrai.
La demeure de Boisanger surplombe le gros bourg de Daoulas. C'est une de ces gentilhommières baptisée château par les villageois. A vingt kilomètres du portail, les deux braconniers ont désigné les lieux et se sont prudemment éclipsés.
Dans un mélange d'émotion et d'inquiétude, Thommé fait jouer le marteau de bronze de la porte. La porte s'entrouve laissant passer une coiffe bretonne qui surmonte un visage ridé. Sans refermer, elle pivote et glisse à petit pas en marmonnant :
- Seigneur, les Allemands ! Seigneir, aidez nous !
Thomé pousse la porte et pénètre dans un hall glacial. Tout est de pierre, massif, ancestral, grandiose.
- Y a_t_il quelqu'un ? lance le lieutenant
Se drapant, majestueux, dans une robe de chambre de soie, un grand vieillard maigre et droit descend l'escalier médiéval. D'une voix hautaine, dans un allemand malhabile, il déclare :
- Que puis-je pour vous monsieur ?
Bêtement intimidé, Thomé bredouille :
- Je crains qu'il y ai un malentendu ….
- Que vous connaissiez notre langue ne constitue en rien un malentendu, reprend en français cette fois le noble vieillard, le seul malentendu me semble être votre présence en cette demeure.
- Mais je suis Français, amiral, réplique le lieutenant en se présentant : Lieutenant Thomé, du 3° régiment de chasseurs parachutistes. J'arrive d'Angleterre.
Pourtant littéralement cueilli à froid ne change en rien la préciosité de son accueil.
- Diable lieutenant, excusez ma méprise. De nos jours, les armées de terre de toutes les nations s'affublent curieusement de ces mêmes vêtements bariolés bizarre …
Alors seulement, l'amiral Boisanger semble réaliser. Il reste muet un instant contemplant le jeune officier, puis enfin il reprend sur un ton naturel qui ne laisse plus passer que l'émotion:
- Nom de Dieu, mon vieux, non de Dieu !
L'amiral descend les trois marches qui le sépare de Thomé qu'il étreint, puis il s'écarte, conservant les mains sur les épaules du parachutiste, le dévisageant avec une joie et une passion muettes. Enfin il le làache, hoche la tête et répète :
- Non de Dieu !
Le lieutenant Thomé a pris un bain, s'est rasé, déguste l'omelette confectionnée par la vieille servante. L'amiral Boisanger a téléphoné à la poste de Daoulas. Il a chargé le facteur de prévenir deux hommes. L'amiral et le lieutenant les attendent :
- Ferdinand est l'un des responsables de Francs-Tireurs et Partisans. Il a sous ses ordres une centaine d'hommes de bonne volonté, mais pratiquement, aucun n'est armé. Le second, Paul Lehir, est garagiste à Daoulas, c'est un remarquable mécano. Lui appartient aux Forces Françaises de l'Intérieur. Ils sont également une centaine sur lesquels vous pourrez compter. Mais d'après ce que je crois savoir, eux non plus ne possède pas la moindre arme valable;
- Francs-Tireurs et Partisans ? Forces Françaises de l'Intérieur ?
- On dit F.T.P. et F.F.I. Pour moi ce sont tous des patriotes, mais il faut admettre que dans l'ensemble les F.T.P. forment une troupe mieux organisée et plus disciplinée. Ils combattent sous une étiquette politique d'extrême gauche. Ils sont issus des communistes persécutés par les nazis.
Ferdinand arrive le premier puis peu de temps après arrive Paul Lehir.
Les hommes s'assoient autour de la grande table que la servante débarrasse prestement.
- Hélas reprend Thomé répondant aux deux résistants, je n'ai pas d'armes à vous donner, et aucun parachutage n'est prévu dans les jours qui viennent. A Londres, nous n'avions aucune idée de votre organisation. Je le déplore, mais c'est un fait.
- Je sais où il y a des armes de quoi nous équiper tous, F.F.I. et F.T.P. annonce calmement Ferdinand. Ca dépend évidemment de l'effectif dont vous disposez.
- Mes hommes attendent à trois kilomètres. Raconte toujours ton histoire.
- C'est simple reprend Ferdinand. Mon plan consiste à attaquer la Kommandantur de Daoulas. Il y a six mois que j'en rêve. Avec une centaine de paras, armés et entraînés comme vous l'êtes, ça ne devrait pas pouvoir louper.
Ce disant Ferdinand extrait de la poche de sa vareuse une carte détaillée de la région
et un plan précis de la kommandantur qui a été établi par plusieurs de ses hommes qui avaient été arrêtés et y avaient été emprisonnés. Il explique donc son plan.
- Thomé hoche la tête, songeur. Sans lever son regard de la carte et du plan, il demande :
- Combien d'Allemands à l'intérieur ?
- Une centaine mon lieutenant. Cent vingt tout au plus
- Et l'armement dont vous parlez ?
- Ca, vous pouvez être tranquille. La cave et le rez-de-chaussée sont un véritable arsenal. Il y aurait des armes et des munitions pour chacun d'entre nous
- Quel genre d'unité occupe Daoulas ?
- Ici c'est la Wehrmacht, mais ne les mésestimez pas, ils sont jeunes et coriaces. A Landernau, il y a trois compagnies de S.S. Il faut donc tenter et réaliser le coup très vite.
Thomé reste songeur un moment, sort de sa poche une courte pipe qu'il allume et reprend :
- Tu sais à quelle heure ils bouffent le soir ?
- A 6 heures et c'est invariable
- Tu sais à quel endroit du bâtiment ils bouffent ?
- Le réfectoire et les cuisines sont au premier étage …
- Donc à 6 heures, tout le monde se trouve au premier ?
- Tous sauf quatre qui sont de gardes. Les quatre types bouffent avant ou après.
- Bon une dernière chose : l'authenticité de ces renseignements.
- Valable à cent pour cent répond Ferdinand. Certains de mes hommes ont passé plusieurs semaines prisonniers dans ces locaux. Toutes les inforùmations qu'ils en ont ramenés se recoupent.
- Je pense qu'on va y aller ce soir à 6 heures.
Ferdinand et Paul Lehir dissimulent mal leur exaltation
- Si vous nous donniez quelques armes pour faire le coup ,
- Non, mon vieux, je vais tenter le coup avec mes hommes. Mais ne t'inquiète pas, dès que vous serez armés, vous aurez l'occasion de nous faire la démonstration de vos talents. Pour le moment, tout ce que je vous demande c'est de m'aider à mettre quelques détails au point. Et primo, je n'ai besoin que de trois guides.
- Paul, moi et un troisième homme sûr. Mais je ne comprends pas …
- Tu vas comprendre : Ferdinand avec un de mes hommes au transfo. Le troisième avec mon sergent à la chicane, toi tu me conduiras avec le gros de la troupe au jardin du maire.
- Mon lieutenant, une centaine de parachutistes sur une seule voie, ça risque d'attirer l'attention.
- On est moins nombreux que tu ne le penses mon vieux.
- Vous êtes combien mon lieutenant ?
- Clément au transfo, Klein à la chicane, en me comptant, nous serons une dizaine.
- Ils sont cent à cent vingt armés jusqu'aux dents, avec des fusils mitrailleurs, des mortiers.
- Nous aurons l'effet de la surprise. Cela fait plus de deux ans qu'on nous entraîne à ce genre de coups de commando.
4 août; 17 h 45. Sous les yeux admiratifs de Ferdinand, Clément installe avec une précision d'horloger son dispositif de sabotage sur le transformateur.
17 h 55. Le sergent Klein et le jeune Garros, accompagné de Lucien, le troisième homme, viennent de repérer la chicane et les six gardiens. Klein a fait comprendre au guide que tout allait bien et qu'il n'avait plus qu'à se terrer et attendre.
Klein et Garros sont en surplomb, dissimilés par d'épais buissons. Leur position est idéale d'autant que les Allemands ne se méfient pas. Quatre d'entre eux font les cent pas pendant que les deux autres sont assis sur un bloc de ciment. Klein avait l'intention de balancer des grenades. En découvrant la situation, il change son projet, prend sa carabine et se met dans la position du tireur couché. Garros comprend et l'imite.
17 h 57. a cinq mètres les uns des autres, progressant avec souplesse, Thomé et ses huit "zazous" se placent aux postes qui leur ont été désignés sur le plan. Briguet contourne et installe son fusil mitrailleur. Thomé parvient à se dissimuler d'arbre en arbre jusqu'à sept ou huit mètres du perron sur lequel veille une sentinelle inattentive, l'arme à la bretelle.
A plat ventre, à l'abri du tronc d'un gros arbre, Thomé observe l'Allemand. Le jour n'est pas entièrement tombé, mais le ciel est tellement bas et épais qu'à l'intérieur de la Kommandantur, chacune des pièces occupées est allumée.
Thomé est fasciné par l'homme de garde. De lourdes gouttes de sueur perlent sur son front, imprègnent ses sourcils qu'elles imbibent avant de suinter sur ses yeux. A plusieurs reprises, le lieutenant essuie son visage à l'aide du lambeau de parachute qui lui entoure le cou. Thomé constate la moiteur de ses mains; son angoisse s'accroit.
Il avait projeté de sauter sur la sentinelle, mais il vient de constater qu'il en sera incapable. Thomé dégoupille une grenade qu'il conserve dans sa main moite. Il demeure tapi, les yeux rivés sur la trotteuse de sa montre. Il attend le fracas lointain que doit provoquer l'attaque du transformateur.
Le fracas se produit avec deux secondes d'avance. Alors Thomé ouvre la main libérant la cuiller, compte lentement jusqu'à quatre, lance l'engin qui atterrit au pied de la sentinelle, et explose au moment précis où il touche le sol.
L'homme s'effondre, déchiqueté. Simultanément, les sept "zazius" ont bondi et balancent les grenades par toutes les ouvertures. Ils sont ahurissant de précision, aucun ne rate son coup. Après les premières explosions, ils ont resserré leur cercle autour de la bâtisse. Quatre Allemands tentent une sortie. Ils sont couchés par le fusil mitrailleur de Briguet.
Si Thomé n'avait pas hurlé "Halte au feu", les parachutistes auraient continué jusqu'à épuisement de leurs grenades (il en avaient chacun une vingtaine).
Sur l'ordre de leur lieutenant, tous arrêtent leur jet.
Un silence oppressant s'abat. Une fumée grisatre s'échappe de toutes les issues..
- Sortez tous de là et les mains den l'air hurle Thomé en français.
Le lieutenant perçoit au 1er étage un flottement, des bribes chuchotées, un conciliabule hâtif; enfin une voix frépond :
- Kamarads monsieur ! … Tous Kamards !
Le timbre de la voix vibre sous la panique
- Ca vient hurle ? gueule Thomé. Sinon je reprends le tir.
- Pas possible monsieur, reprend la voix terrifiée. Escalier Kaputt.
Sur sa gauche retentit un éclat de rire.
- André, bon sang ! tu te crois aux bains de mer ! braille le lieutenant. Couvez moi, je vais jeter un œil.
Thomé sait que ses hommes l'observent. A dessein, il marche droit, calme, à découvert. A l'in,térieur, sorti du champ visuel de ses "gosses", il bondit à l'abri. Reprend son attitude prudente, méfiante, sa mitraillette prête à tirer. Il jette un bref regard dans le poste de garde, aperçoit quatre corps en charpie.
- André, Guy, rejoignez moi ! crie le lieutenant vers l'extérieur.
Les deux parachutistes arrivent en courant. Thomé leur chuchote :
- Tirez le gros buffet au milieu de la pièce. La seule chose qu'ils puissent tenter, c'est nous balancer une grenade
- Pensez-vous, ils pissent dans leur froc raille le Nabour.
Thomé lui jette un regard sévère.
- Y a-t-il un officier vivant là-haut ?
Une voix grave et emphatique se fait entendre dans un excellent français.
- Capitaine Emmunt, commandant la 11° compagnie de marche. Je suis indemne.
- C'est bon, sautez le premier, et que les hommes valides vous suivent uin par un.
Bêtement la voix répond :
- C'est haut, puis il se rend compte de l'inutilité de sa réponse.
- Je saute, ne tirez pas !
Le capitaine Allemand apparaît dans l'encadrement de la porte déchiquetée qui donne sur un vide de trois à quatre mètres. Il saute et se reçoit gauchement pour se retrouver à quatre pattes. Il se relève visiblement vexé, époussette ses coudes et ses fesses, toise Thomé et déclare :
- Etes vous une unité régulière ?
- Lieutenant Thpmé, 3° R.C.P. voncède l'officier parachutiste.
L'Allemand se fige au garde à vous, claque les talons et saluue longuelment. Solennel il reprend alors :
- Afin d'épargner la vie de mes hommes je choisis de capituler.
D'un geste grandiose, il ouvre l'étui de son pistolet, extrait précautieusement son parabellum de 9 mm puis le tend à Thiomé en le tenant par le canon
- C'est pas vrai, il se croit au ci,é lance Le Nabour
- T'as raison, il a du voir jouer "La Grande Illusion" surenchérit RicharD.
Le visage de l'allemand s'empourpre.
- Lieutenant, je proteste. Je me considère comme prisonnier. Je suis officier. Il est inadmissible que vos hommes se permettent des sarcasmes à mon égard.
- Désolé mon vieux, réplisue Thomé, nonchalant, mais le temps nous manque pour jouer aux honneurs militaires. Allez, dehors, on va s'occuoer de toi selon un rite sacramentel.
Se tournant vers Richard, il ajoute. Va me chercher Bellon et Galano. Occupez vous des bretelles et des braguettes? Ce con d'abord? Après les autres, au fur et à mesure.
- Vous êtes indigne des galons que vous portez jette l'Allemand, outré en passant la porte.
- Au suivant ! Ca descend ? hurle Thomé.
Le premier homme saute.
A l'extérieur, Bellon a fait valser la casquette de l'officier, lui a ordonné d'ôter sa veste, puis de sa dague de commando coupe ses bretelles.
L'Allemand continue à débiter ses vociférations indignées qui atteignent leur paroxysme lorsque Bellon commence à déboutonner les boutons de la braguette. Il se recule horrifié.
- Mon lieutenant gueule Bellon, je crois qu'il a peur qu'on lui coupe la queue.
- Arrêtez de m'emmerder ! Tenez-le et finissez-en !
Galano attrape l'Allemand par derrière; Bellon calme et ravi, coupe soigneusement les boutons de la braguette; Alors Galano lâche sa prise.
Eructant, grotesque, tenant de ses mains son pantalon ouvert, le capitaine de la 11° compagnie de marche, hurle, à bout d'insultes :
- Kommunistes !
Ils sont une soixantaine à subir le même sort. Une quarantaine de morts et une vingtaine de blessés sont momentanément laissés sur place.
Les F.F.I. et les F.T.P. arrivent à bord de deux vieux camions à gazogène. Les armes sont transportées sur les véhicules. Les résistants récupèrent effectivement de quoi équiper deux compagnies.
Thomé est sur le point de donner l'ordre de décrochage lorsqu'un gamin d'une douzaine d'année attive à boutde souffle.
Les S.S. ! hurle-t-il. Avec des tanks. Ils arrivent de Landernau.
Thomé peste contre le tempsqu'il vient de perdre. Il prent une décision instantanée. Il faut freiner la colonne ennemie pendant un quart d'heure au minimum pour permettre aux camions d'armes de trouver un refuge. Le lieutenant a un regard vers le troupeau burlesque des prisonniers qui tiennent leurs pantalons.
Poussez-les jusqu'à la chicane ordonne-t-il. Ils vont nous servir de boucliers. Ca nous donnera le temps de prendre position sur les talus de chaque côté de la route. De là, on balancera des gammon-bombs.
" Les gammon-bombs, arme typiquement S.A.S. &taient d'une boule de plasyic surmontée d'une bonnette détonateur. Les Français avaient amélioré l'efficacité meurtrière des engins en truffant le plastic de boulons, clous, fragment de chaîne de vélo ou toutes autres pièces de métal. Il est arrivé fréquemment qu'une vingtaine d'hommes soient tués par l'explosion d'une seule gammon-bombs. "
Le capitaine en tête, les prisonniers marchent sous la menace à travers la rue qui conduit à la sortie du bourg. Lorsqu'ils parviennent à la chicane, le grondement de la colonne motorisée croît , sourd et lancinant.
Thomé ordonne au capitaine Allemand :
Vous allez vous trouver au centre d'un feu croisé. Un faux geste de l'un de vous et je déclenche le tir. Tenez-vous avec vos hommes devant la chicande. Quand j'attaquerai le convoi, et seulement quand j'attaquerai le convoi, faites pour le mieux, essayez de vous mettre à l'abri.
La colonne s'approche lentement. En tête, deux auto-mitrailleuses; derrière quatre camions; an queue, une auto mitrailleuse.
Dés que le troupeau est pris dans le faisceau des premiers phares, courageusement, le capitaine allemand lève les bras qu'il croise au dessus de sa tête pour prévenir l'embuscade. Son pantalon tombe en tire-bouchon sur ses genoux. Il se penche, se relève et recommence trois fois l'opération.
Le S.S. de l'automitrailleuse de tête ne comprend rien à cette étrange "pantalonnade".
Il poursuit sa progression. Dès que le premier véhicule arrive à sa hauteur, Thomé lance une gammon-bombs qui atteint son but avec précision. L'automitrailleuse s'immobilise. La colonne est bloquée. Provoquée par la surprise, la panique est immédiate et totale.
Courant comme des lièvres sur les talus les parachutistes trouvent les points desquels ils pourront lancer leurs engins avec efficacité. Trois nouveaux véhicules sautent. Du combustible se répand et s'enflamme. Les prisonniers essaient de courir, s'entravent dans leurs pantalons, tombent, se relèvent, cherchent désespérément un abri qui n'existe pas. Les S.S. ne comprennent rien. Ils ne parviennent pas à situer l'ennemi; seuls, quelques uns d'entre eux tirent à l'aveuglette, complètement désemparés.
Un des camions tentent de doubler les véhicules en feu. Il y parvient, dangereusement penché sur deux roues de gauche sur le talus. Le véhicule arrive à s'engager dans la chicane : il est stoppé par une balle qui a sectionné le fil du delco; une gammon-bombs atterrit sur le plateau arrière. Elle tue ou blesse grièvement la totalité des occupants.
Paul Lehir, le mécano, se précipite, ouvre le capot, constate la raison de la défaillance du moteur et bricole les fils pendant que le combat fait rage autour de lui.
En moins de deux minutes le moteur tourne
Thomé a observé le patriote, il hurle :
Tout le monde au camion de tête ! On taille la route.
Les parachutistes se précipitent, bondissent sur le plateau du camion, atterrissent sur les corps des morts et des blessés allemands.
Tu peux y aller crie Thomé ! On est tous là.
Le camion s'ébranle, tandis qu'à l'arrière les "zazous" lancent dans de formidables jets leurs dernières grenades, puis tirent à la mitraillette protégeant leur retraite.
Le camion prend de la vitesse dans la rue principale de Daoulas. Il s'engage après avoir contourné le village sur la route secondaire qui conduit à Saint-Urbin.
Les S.A.S. jettent alors les corps des allemands par-dessus les ridelles. Thomé constate la présence de quatre blessés. Il fait arrêter Le Hir. Précautionneusement, les blessés sont déposés sur le bord de la route.
A landernau, dans la nuit, le capitaine Emmunt se tient au garde à vous devant le major commandant les trois compagnies de S.S. Il n'a trouvé qu'un bout de ficelle pour maintenir son pantalon dont la braguette baille
Avez-vous au moins une idée exacte de leur effectif ?
Précise … Dans la violence du combat c'était difficile. Un bataillon de parachutistes lâche le major songeur
Peut-être une division dans la région, surenchérit le capitaine. A mon avis la presqu'île est infestée d'ennemis dont la mission est sans conteste le siège de Brest.
Les parachutistes qui avaient créés cette panique étaient au nombre de soixante seize.
Paul Lehir, le lieutenant Thomé et les hommes de son groupe (ils ne sont plus que dix : Jean Briguet a trouvé la mort au cours des combats de Daoulas) se sont réfugiés dans une ferme isolée des environs de Saint-Urbin.
Le père Bouguennec, le vieux fermier, est un homme sûr, il a deux fils et une fille. Ils n'ont pas hésité pour recueillir et installer les parachutistes.
Le surlendemain de son double coup d'éclat, Thomé décide de partir seul dans la direction de Saint-Urbin. Il veut repérer un camp de munitions, étudier la possibilité d'un sabotage. L'action s'avère impossible, et revenant sans méfiance à travers bois, il se fait interpeller par derrière :
- Monsieur !
Thomé fait un bond et se retourne l'arme à la main.
- Monsieur, s'il vous plait, monsieur !
Thomé est estomaqué. Il aperçoit un officier allemand, sa mitraillette Schmesser en travers de sa poitrine et sans velléité belliqueuse. Il parait seul et aurait pu abattre le lieutenant d'une rafale dans le dos.
- Les mains sur la nuque ou je tire !
- Ne tirez surtout pas monsieur, je désire me rendre.
- Jette ton arme en la tenant par la bretelle jette le lieutenant.
L'officier allemand s'exécute. Le lieutenant s'approche de lui, le palpe, empoche son parabellum.
- C'est bon, tu peux baisser les bras. Marche devant.
- C'est que je ne suis pas seul explique l'officier. Il y a soixante dix parachutistes qui voudraient se rendre à une unité régulière. Ils vous observent à la jumelle depuis deux heures.
Ils m'ont envoyé en parlementaire à cause de ma connaissance de votre langue.
- Vous êtes parachutistes ? interroge Thomé en pensant un moment qu'il a servi de point de mire pendant une partie de l'après-midi.
- Moi ? Grand Dieux, certes pas ! Je suis professeur de philosophie à l'université de Munich. Je suis ici en tant que capitaine responsable su service météorologie.
Thomé fait le point. Il est évident que l'officier philosophe et ses parachutistes veulent se rendre. Ils surestiment sans doute les forces dont il dispose. Pour lui, la meilleure solution est de les remettre aux F.T.P. et aux F.F.I. qu'il a armés l'avant-veille.
- C'est bon ! décide Thomé. Vous et vos parachutistes vous présenterez dans trois heures au carrefour de Bellevue. Entre temps j'aurai avisé mon colonel, deux compagnies vous attendront. Arrivez sans armes et les mains en l'air sinon je ne réponds de rien.
- Rien à faire, tranche le capitaine "météo".
- Qu'est ce qui ne va pas ?
- Je ne retourne pas donner un rendez vous à mes camarades. Ils veulent se rendre tout de suite. Ils m'ont dicté mesconsignes. Ils veulent que vous les accompagnez à votre P.C.
- Mais ça revient au même ! Je n'ai aucune envie de convoyer tout seul soixante dix soldats ennemis. Suivez mes instructions et ne discuitez pas.
- Rien à faire, reprend l'Allemand buté en s'asseyant sur une grosse pierre avec une mine d'enfant chagriné. Vous ne les connaissez pas. Ce sont des brutes. Quand ils décident quelque chose, il n'est pas question de parlementer. Ils veulent se rendre tout de suite. Si je les déçois, ils vont me massacrer
- Vous vous foutez de moi ?
- Pas du tout. Réfléchissez. Qu'est ce que vous risquez ? Ils ont eu vingt fois l'occasion de vous tuer. Et moi-même, tout à l'heure, j'aurais pu vous tirer dans le dos.
Thomé réfléchit. Effectivement l'Allemand est logique. Et puis, quelle rigolade de ramener à la ferme soixante dix parachutistes ennemis ! Il pense à la tronche du sergent Klein et à celles des "zazous"
- D'accord décide-t-il. Que vos amis me rejoigne ici, deux par deux, à triois mètres de distance les uns des autres, sans armes, et les mains en l'air avec évidence.
L'incroyable se produit. Moins d'un quart d'heure plus tard, la colonne se présente. Les hommes, bras levés sont conduits par un sous officier, un Feldwebel bardé de décorations.
L'insolite équipage parcourt trois kilomètres à travers bois. Il arrive à portée de voix de la ferme Bouguennec.
- Halte, iordonne Thomé. Puis il hurle en direction de la ferme : Klein !
Silence. Le lieutenant reprend les mains en porte-voix :
- Lucien ! Nom de Dieu !
Le jour commence à pâlir. Le caporal chef Paul Clément suivi de Klein cherche à situer le sens de l'appel.
- Par ici, gueule Thomé. J'avance avec des prisonniers. Ne tirez pas !
- C'est le lieutenant reconnait Klein ! Qu'est-ce c'est encore que cette salade ?
Il arme sa Sten. Clément l'imite. Les autres sortent, sur la défensive. Vite ils se rassurent en voyant les bras levés des Allemands.
- Ben, merde alors ! Où avez-vous déniché tout ça mon lieutenant ? bafouille Klein médusé.
Thomé ne répond pas. Il s'adresse à l'interprète :
- Faites les assoir par terre et qu'ils conservent les mains sur la nuque
Le apitaine "météo" traduit l'ordre. Docilement le troupeau s'exécute. Thomé attire Klein à part :
- Envoie un gus prévenir Lehir et Ferdinand. Qu'ils rappliquent en force, on va leur faire un cadeau
- Un chouette cadeau.
- Tu parles ! Regarde de plus près, c'est du beau linge, des parachutistes
- Vous me charriez …
- Va voir leurs insignes. Tu crois pas que je me serais fatiguer à trimballer de l'intendance ?
André Le Nabour a déjà reconnu les insignes.
- Eh ! les gars ! Venez mater un peu ! C'est des copains !
Lehir arrive le soir avec dix hommes armés. Hélas ! Il se montre formel.
- Moi, je n'en veux pas mon lieutenant. Qu'est ce que vous voulez que j'en foute ! J'ai déjà suffisamment de problèmes pour nourrir mes hommes… Je sais parfaitement ce qyue je vous dois, je ferai tout pour vous rendre service et vous être agréable, mais m'encombrer de soixante dix prisonniers, pas question !
Après un rapide coup d'oeuil sur le troupeau, il ajoute sur un ton de concession :
- Je veux bien prendre leurs bottes, mais c'est vraiment tout ce que je peux faire pour vous
- Mais qu'est ce qu'on va en foutre ? Je ne vais tout de même pas tous les buter.
Ferdinand est arrivé peu après accompagné également et répond la même chose.
- Les F.T.P. ? Ils sont dans la même situation que vous.
- Vous pouvez m'aider à leur trouver du pain pour ce soir ?
- J'ai des boules pour mes hommes, on va partager.. Ils vont être heureux s'ils apprennent pour qui ils se serrent la ceinture.
Laissant les prisonniers à la garde de Klein et de ses hommes, les trois hommes partent dans la nuit avec un gazogène visiter les maquis. Partout, la même réponse.
- Nous nous trouvons devant la situation la plus extravagante qu'on peut imaginer maugrée Thomé. Les Schleus sont partout. Il y a ceux qui veulent se battre et ceux qui en ont marre. De plus les Allemands sont encerclés, d'une part par les Américains, et de l'autre par les maquisards qui les traquent sans arrêt en tous lieux et en toutes circonstances. Mais ça ne résout pas mes problèmes.
- On pourrait mettre une annonce dit Ferdinand :
"A céder lot de parachutistes allemands en pleine santé, prix défiant toute concurrence "
Tous éclatent de rire
- Cela me donne une idée continue Ferdinand. Quand un grossiste n'arrive pas à cèder un bloc de marchandises, il la détaille. Pourquoi n'en ferions nous pas autant ?
- Evidemment ! vous pouvez vous charger tous les deux de la distribution
- D'accord ! Demain à l'aube On les prend par deux ou trois et on les distribue dans tous les maquis. Vous pourriez donner l'exemple en en gardant également.
- O.K. ! répond Thomé. Je garde le "Météo" et deux autres qui aideront à la cuisine. Un interprète, ça peut toujours servir par les temps qui courent.
- C'est parti ! répond Lehir. Ferdinand et moi, on s'occupe de la distribution pour chacun de nos groupes. On trouvera à les occuper également. Par petits groupes de deux ou trois, cela ne devrait pas poser de problèmes.
Et c'est ainsi que le problème des prisonniers fut résolu.
9 août à 6 heures du matin, Thomé et ses J.3 sont embusqués de chaque côté de la route entre Sizun et Daoulas. Comme dit Le Nabour, ils attendent le client. Jusqu'à six véhicules, ils attaquent, au-delà, ils laissent passer.
L'attente dans l'aube n'a rien de réjouissant, d'autant que Thomé leur a interdit de fumer
- Les affaires sont en baisse, murmure le sergent Klein. Les rabatteurs roupillent.
Les "rabatteurs" sont des noms que les "zazous" ont donné aux Américains qui ont libéré Lannion, Guingamp, Pontivy et Vannes, et qui, circulant sur cet axe, interdisent aux Allemands leur retraite vers l'est.
Du point où il se trouve, Thomé découvre la route sur plusieurs kilomètres. Il scrute fréquemment l'horizon à la jumelle, prévenant toute arrivée.
- Le fait est qu'ils ne sont pas d'humeur baladeuse, ce matin. Si ça continue, on va rentrer les mains vides.
- On pourrait pas griller une petite pipe mon lieutenant, interroge Guy Guichard sans la moindre conviction.
Thomé ne répond même pas., Guichard hausse les épaules et reprend :
- On se rouille… on peut pas fumer, la seule gonzesse qu'on a vue depuis six jours s'est fait lever par un F.F.I. Pas le moindre petit S.S. à l'horizon et il va pleuvoir. C'est pas des vacances…
- Suffit Guichard tranche Klein. Ton théâtre aux armées, on en a soupé
- Faut bien passer le temps sergent
- Vos gueules ! interrompt Thomé, on a de la visite.
Les visages se tendent, les mains se crispent sur les armes.
Le lieutenant garde la jumelle aux yeux et règle la focale au fur et à mesure de l'approche. Il grince entre ses dents.
- Oh ! putain, quelle merveille.
- Qu'est ce que c'est ? interroge Klein qui ne distingue au loin qu'un point minuscule.
- Une bagnole seule, mais quelle bagnole ! Mercedes ! Décapotable ! La 540 K.
- Elle est décapotée
- Oui, oui, tu parles !
- On balance une grenade en passant mon lieutenant ?
- Non mais tu rêves ! Tu veux m'abimer ma voiture ? Tu tires le chauffeur, et de profil encore, ne va pas me péter mon pare-brise. Il y a aussi un type vautré à l'arrière.
- C'est peut être Hitler lance Guinchard.
- Et des pneus à flancs blancs, des gros tuyaux nickelés sur le côté. Il y a cinq ans que je rêve d'une bagnole comme ça.
Les hommes distinguent maintenant la voiture à l'œil nu, elle glisse silencieuse et majestueuse à petite vitesse.
- Je vais le tirer dans la tempe annonce Klein. Ca ne saigne pas, je voudrais pas salir vos coussins.
La Mercedes passe, un seul coup de feu est tiré. Tué net, le chauffeur bascule en avant et s'effondre sur le volant. Son pied glisse de l'accélérateur, la voiture calle, la voiture s'immobilise. A l'arrière, l'officier s'est retourné, pistolet au poing et vide son chargeur au hasard. A son tour il est tué d'une balle en plein front; c'est Klein qui avec une fantastique précision a tiré aussi le second projectile.
- Je m'excuse mon lieutenant, mais il risquait de faire mal, explique-t-il contrit. Une de ses balles m'a sifflé aux oreilles.
Les parachutistes s'approchent de la superbe voiture et constatent que ses deux occupants sont morts.
- Un général des Waffen S.S. C'est y dommage déplore Thomé. C'est con aussi avec son révolver …
- On lui aurait fait faire la vaisselle à la ferme dans son bel uniforme lance Guichard. J'aurais fait des photos
- Sans compter qu'il jouait surement aux échecs, conclut amèrement Thomé.
Le lieutenant est un peu réticent quand l'ensemble de l'équipe réclame une place à bord, mais il ne peut se résoudre à fractionner ses hommes. Tous les dix s'entassent dans le superbe véhicule et regagne la ferme.
L'officier météo allemand vient de finir le ménage, Thomé lui ordonne de laver la voiture :
- Et que ça brille, l'ancien propriétaire était un véritable porc, c'est une honte de ne pas soigner une pareille merveille ! Quand elle étincellera, vous vérifierez l'huile et l'eau.
- Vous l'avez payée cher lieutenant ? raille l'allemand.
- J'ai débattu le prix. Finalement je crois avoir fait une affaire
Vers midi, la Mercedes est lustrée. Thomé, Klein et Guichard l'admire amoureusement.
- Dépliez-moi une carte lance le lieutenant ce qui est fait immédiatement sur le capot.
- Qu'est-ce que vous cherchez mon lieutenant ?
- Une longue ligne droite.
- Je vois, ça va barder, elle doit approcher les 200
- C'est ce que Mercedes prétend, on va vérifier. En allant sur landerneau, on a dix kilomètres sans virages.
- Oui mais à Landerneau il y a les S.S.
- Regarde ce tournant, il n'est qu'à deux kilomètres de la ville, et on l'apercevra de loin. Il n'y aura alors qu'à faire demi-tour.
- Si vous étiez allemand et que vous gardiez Landernau, ou est-ce que vous placeriez vos fusils mitrailleurs ?
- Dans le virage, et ils y sont surement, mais je te le répète, on le verra de loin et la route est large.
- Vous savez mon lieutenant, je voudrais pas vous faire de la peine, mais les Mercedes, c'est pas tellement réputé pour leur braquage.
- Non mais tu m'uses le moral, sergent. Si tu as le trac, tu n'as qu'à le dire. J'emmènerai la fille Bouguennec, tu n'auras qu'à te charger es travaux ménagers à sa place pendant notre promenade.
Klein qui possède pourtant un indéniable sens de l'humour n'apprécie pas, et quand il est en colère il tutoie son officier, ce qui se fait couramment dans les unités S.A.S.
- Enfin de compte, Thomé tu es un sale type. On a bien tort de t'estimer et de t'aduler. Tu penses qu'à balancer des vacheries méprisantes. Tu n'es heureux que quand tu fais mal.
Thomé répond sur un ton rigolard
- Ca c'est la meilleure. C'est moi qui balance des vacheries alors que ça fait un quart d'heure que tu fais tout ce que tu peux pour me saper le moral. Je t'offre une balade en décapotable et toi, tout ce que tu me dis " Et les boches ont des fusils mitrailleurs … Et il y a des S.S. à Landernau … Et la Mercedes, elle braque pas … " Avoue qu'il y a de quoi s'énerver.
- Oh ! ça va, allons nous détendre chez les S.S. concède Klein.
- Vous m'emmenez mon lieutenant ? lance Guichard qui a assisté à la prise de gueule de ses supérieurs. Moi, j'ai pas peur.
- Continue sur ce ton Guichard, balance Klein, hargneux, et attends que je te coince seul à seul. Tu regretteras de nev pas être tombé dans les mains de la Gestapo.
- Il a raison, Guichard, tranche Thomé. Dans l'armée, l'esprit est le privilège des gradés. Les subordonnés doivent se contenter de rire des plaisanteries de leurs supérieurs.
- En attendant, va chercher une caisse de grenades interrompt Klein. J'en veux plein les sièges. Je sais bien qu'on va se promener, qu'on va se détendre, mais on ne sait jamais.
La puissante voiture avale la route. Thomé à le pied au plancher. L'aiguille de l'indicateur oscille entre 150 et 160. Les trois parachutistes sont enivrés par le vent qui frappe leur visage. Klein regarde loin devant pour découvrir à temps le virage; il ignore que les allemands ont refait la route et que la courbe n'existe plus.
Le poste de garde des S.S. est installé juste à l'entrée de la ville. Les trois parachutistes se retrouvent à sa hauteur à près de 120 kilomètres à l'heure. Les sentinelles ne reconnaissent pas les uniformes, elles saluent la voiture au passage.
- Merde ! gueule Thomé. On est dans la ville ! Si on fait demi-tour, les mitrailleurs risquent de se réveiller
- Ca m'étonnerait que les sentinelles saluent une seconde fois fait remarquer Klein.
- On va essayer de trouver une autre sortie
- Bon, voyons mon lieutenant, c'est enfantin répond Klein en dégoupillant deux grenades qu'il serre dans chacune de ses mains en se retournant vers Guichard pour lui faire signe de l'imiter.
La Mercedes glisse majestueusement dans un dédale de ruelles étroites. Thomé est d'un calme Olympien et conduit avec sureté. Il rétrogradé et s'est saisi également d'une grenade qu'il porte et conserve à la bouche serrant ses dents sur la cuiller.
Les ruelles deviennent de plus en plus étroites. La Mercedes s'engage dans artère pentue dans laquelle elle a juste la place de se faufiler, puis à deux cent mètres devant eux, légèrement en contrebas, les trois parachutistes aperçoivent la grand place de Landerneau. Elle grouille de soldats allemands. Plusieurs d'entre eux regardent intrigués la voiture qui s'approche.
- Je crois qu'on est arrivé déclare calmement Thomé en arrêtant le véhicule en souplesse.
- On fait marche arrière mon lieutenant ?
Thomé ne répond pas, il porte la main au rétroviseur et l'axe dans le champ visuel du sergent. Klein découvre dans le miroir une vingtaine de soldats qui s'avancent vers eux, l'arme à la bretelle. Entre ses dents, klein siffle, admiratif.
- Tenez vous bien, on y va, annonce le lieutenant.
Il emballe le moteur embraye d'un coup sec, parvient à passer la seconde avant la place sur laquelle la Mercedes débouche comme une fusée.
Surpris, un Allemand est happé par l'aile; soulevé, il va s'écraser à trois mètres. Klein et Guichard ont simultanément jeté quatre grenades./ Les engins ont atterri et explosé au milieu de groupes compacts.
Les S.S. étaient occupés à piller; ils entassaient dans cinq camions des draps, des victuailles, des boissons. Ils étaient en tout une soixantaine de retardataires, le reste des deux compagnies ayant quitté la ville une heure avant en direction de Brest
Sans ralentir, Thomé fait le tour de la place. Des dents, il a dégoupillé sa grenade et, conduisant d'une seule main, l'a jetée dans les pieds d'un quatuor de sous officiers qui, en courant, cherchaient un abri
Guichard et Klein n'arrêtent pas et dégoupillent, lancent, dégoupillent, lancent. La voiture fait trois fois le tour. Les grenades explosent à une vertigineuse cadence. La surprise a été telle que chez les Allemands, que pas un n'a eu la moindre réaction de riposte. Tous agissent dans le même réflexe, se mettre à couvert ou fuir.
En moins de deux minutes, il ne reste plus sur la place de Landernau que des morts et des blessés. Tous les hommes valides se sont évanouis dans les rues voisines.
Thomé ralentit progressivement. Un camion démarre lourdement. Une dizaine de survivants a réussi à s'entasser sous la toile du plateau. Guichard réussit un prodigieux jet de grenades à plus de dix mètres dont l'une tombe sur le capot. Le pare-brise éclate, le moteur s'enflamme.
Thomé arrête la Mercedes. Attentifs, la mitraillette au poing, les parachutistes observent.
Un silence insolite et pesant s'est abattu sur la place. Soudain, une porte qu'on entrouvre fait grincer ses gonds. Un petit bonhomme rondouillard apparait circonspect. Il jette à gauche et à droite des regards scrupuleux, puis rasséréné, se ceint d'une écharpe tricolore et avance vers la Mercedes.
- Je suis l'adjoint de l'adjoint au maire explique-t-il à Thomé. En leur absence, j'assume leurs fonctions.
Le ton est solennel puis brusquement il change et crie :
- Vive nos Libérateurs !
Thomé et ses hommes en reste pantois.
Sur la place des volets et des fenêtres s'ouvrent, des drapeaux Français apparaissent et des cris fusent : Vive la France ! Vive nos Libérateurs ! Vive les parachutistes Français !
Thomé sort du véhicule sur lequel maintenant des fleurs tombent. Une adolescente se précipite et l'embrasse sur les joues. Derrière, Guichard en embrasse une seconde à pleine bouche. Soudain Thomé éclate de rire et déclare à ses hommes
- Vous savez ce qu'on vient de faire les gars; On vient de libérer Landerneau !
Sur la citation du lieutenant, lorsqu'il fut, quelques mois plus tard, promu Chevalier de Légion d'Honneur, le général De Gaulle avait fait figurer entre autres faits d'armes " A la tête de sa compagnie, a libéré la ville de Landerneau occupée et tenue par deux compagnies d'élite ennemies "
Le général De Gaulle ignorait que la compagnie en question se composait de deux hommes : Le sergent Lucien Klein et le caporal Guy Guichard.
Source : Livre " Qui Ose Vaincra - Les parachutistes de la France Libre " écrit par Paul Bonnecarrère, parachutiste de la France Libre et qui livre ici les récits de ses compagnons qui comme lui ont participé aux évènements qu'il décrit. De plus il a eu accès pour son livre aux archives de l'association des S.A.S. et des services de l'armée britannique.
Camp secret de Fairford le 3 août 19144.
Parmi les jeunes officiers qui encadrent les hommes du 3° S.A.S. le lieutenant Thomé est de ceux que l'action ronge et déprime le plus. Il vient du B.C.R.A. Il a accompli en France de multiples missions, et il peste d'avoir maintenant choisi l'uniforme et une unité régulière, ce qui le contraint à une pesante inaction tandis qu'il suit les communiqués et les combats furieux de ses frères d'armes.
Thomé est responsable d'une demi-compagnie, mais comme tous les officiers S.A.S. il a son stick : douze hommes à la tête desquels quoiqu'il arrive, il sautera en opération. Ses hommes, Thomé les a choisis, et son choix s'est porté au fur et à mesure des arrivées, sur les plus jeunes recrues.
Ils sont tous censés avoir dix huit ans révolus, mais le lieutenant ne s'est jamais leurré. Mis à part le sergent Klein, aucun ce ses "gosses" comme ils les appellent n'a atteint cet âge. Et pour plusieurs d'entre eux, il s'en faut de beaucoup. Au régiment, on les a d'abord appelès les "J.3" puis ils sont devenus les "zazous".
Thomé ne s'est jamais formalisé de ces railleries. Il se montre fier et satisfait de ses "zazous", car depuis un an, ils sont devenus de vrais soldats parmi les meilleurs. Le lieutenant leur accorde une entière confiance.
Des combats, il vient enfin d'en recevoir l'ordre. Dans cette matinée du 3 août, Château-Jobert vient de lui signifier, que lui et son équipe sauteraient en France le soir même.
Les "zazous ont hurlé de joie. Leur exubérance a été telle que dans une chahuteuse explosion, ils ont arraché les piquets de leur tente qui s'est abattue sur eux.
Objectif, Finistère. Largage dans la presqu'île de Plougastel, à proximité de Daoulas. Effectif : la moitié de la compagnie Sicaud. Thomé et ses douze "zazous" en font partie. Mission : créer le chaos dans l'énorme rassemblement de troupes allemandes qui, refluant sous la poussée des Alliés, cherche à faire de toute la pointe de la Bretagne, un camp retranché.
Renseignement sur la Résistance : néant. Assurément partout, des bonnes volontés, mais pratiquement, aucune arme n'a jamais été larguée dans ces régions.
Le lieutenant Thomé est un solide Ardennais de taille mpyenne. Il est d'une évidente puissance : Cheveux, sourcils, yeux et poils sont d'un noir d'encre. Il est âgé de vingt cinq ans.
Ses hommes l'ont surnommé le "Gorille".
Son second, le sergent Klein est un grand Lorrain, tout en longueur, sec et dégingandé.
Il est froid et sourit rarement, se prépare à faire la guerre avec la rage et la haine de ceux de sa race. C'est le meilleur tireur au fusil des deux régiments.
Les "zazous" s'appellent : André Le Nabour (le nabot à cause de sa petite taille), Philippe Dubosc, Mendiondo, Clément, Garros, Briguet, Raymond Paulus, Bellon (il a tout juste quinze ans), Galano, Bruand, et Guy Guichard. Ils forment un étrange panaché d'adolescents rêveurs et professionnels de la violence.
Les "Zazous" viennent d'atterrir en silence et se regroupent sans difficultés. Ils sont tombés dans les fougères. Un seul incident s'est produit, mais il est de taille : Thomé constate que Philippe Dubosc s'est cassé la jambe. Don stick ne comprend que douze hommes. Il s'embusque à proximité d'un sentier et décide d'attendre l'aube.
A quatre heures du matin, deux braconniers empruntent le sentier. Ils sont tout d'abord terrifiés lorsque quatre soldats bondissent et les entourent puis se rassurent ensuite lorsqu'ils constatent qu'ils ont affaire à des Français. Puis c'est la scène habituelle des embrassades, des larmes, des tapes dans le dos.
- Faut aller voir au château, sûr que l'amiral va vous cacher et vous aider. Vu que l'amiral, les boches, il les a jamais piffés.
- L'amiral ?
- L'amiral de Boisanger, renchérit le second braconnier, c'est notre châtelain à Daoulas, c'est à moins d'une lieue.
- C'est un résistant ? s'enquiert Thomé.
- Oh ! dame, un résistant, j'pourrais pas dire. C'est plus un tout jeune, not'e châtelain. Mais ce qui est sûr, c'est qu'on l'a jamais vu copiner avec l'occupant comme certain que je pourrais causer.
- Tu pourrais me conduire ?
- Ma foi, en partant tout de suite à travers champ, vous n'aurez qu'à marcher à cinquante mètres derrière nous.
Thomé se retourne vers Klein.
- Prends le commandement et fait confectionner une atelle pour la jambe de
Philippe. Il souffre trop, faites-lui une seconde morphine. Ne bougez sous aucun prétexte. Je vais présenter mes devoirs à la "Royale". Dès que possible, je vous rejoindrai.
La demeure de Boisanger surplombe le gros bourg de Daoulas. C'est une de ces gentilhommières baptisée château par les villageois. A vingt kilomètres du portail, les deux braconniers ont désigné les lieux et se sont prudemment éclipsés.
Dans un mélange d'émotion et d'inquiétude, Thommé fait jouer le marteau de bronze de la porte. La porte s'entrouve laissant passer une coiffe bretonne qui surmonte un visage ridé. Sans refermer, elle pivote et glisse à petit pas en marmonnant :
- Seigneur, les Allemands ! Seigneir, aidez nous !
Thomé pousse la porte et pénètre dans un hall glacial. Tout est de pierre, massif, ancestral, grandiose.
- Y a_t_il quelqu'un ? lance le lieutenant
Se drapant, majestueux, dans une robe de chambre de soie, un grand vieillard maigre et droit descend l'escalier médiéval. D'une voix hautaine, dans un allemand malhabile, il déclare :
- Que puis-je pour vous monsieur ?
Bêtement intimidé, Thomé bredouille :
- Je crains qu'il y ai un malentendu ….
- Que vous connaissiez notre langue ne constitue en rien un malentendu, reprend en français cette fois le noble vieillard, le seul malentendu me semble être votre présence en cette demeure.
- Mais je suis Français, amiral, réplique le lieutenant en se présentant : Lieutenant Thomé, du 3° régiment de chasseurs parachutistes. J'arrive d'Angleterre.
Pourtant littéralement cueilli à froid ne change en rien la préciosité de son accueil.
- Diable lieutenant, excusez ma méprise. De nos jours, les armées de terre de toutes les nations s'affublent curieusement de ces mêmes vêtements bariolés bizarre …
Alors seulement, l'amiral Boisanger semble réaliser. Il reste muet un instant contemplant le jeune officier, puis enfin il reprend sur un ton naturel qui ne laisse plus passer que l'émotion:
- Nom de Dieu, mon vieux, non de Dieu !
L'amiral descend les trois marches qui le sépare de Thomé qu'il étreint, puis il s'écarte, conservant les mains sur les épaules du parachutiste, le dévisageant avec une joie et une passion muettes. Enfin il le làache, hoche la tête et répète :
- Non de Dieu !
Le lieutenant Thomé a pris un bain, s'est rasé, déguste l'omelette confectionnée par la vieille servante. L'amiral Boisanger a téléphoné à la poste de Daoulas. Il a chargé le facteur de prévenir deux hommes. L'amiral et le lieutenant les attendent :
- Ferdinand est l'un des responsables de Francs-Tireurs et Partisans. Il a sous ses ordres une centaine d'hommes de bonne volonté, mais pratiquement, aucun n'est armé. Le second, Paul Lehir, est garagiste à Daoulas, c'est un remarquable mécano. Lui appartient aux Forces Françaises de l'Intérieur. Ils sont également une centaine sur lesquels vous pourrez compter. Mais d'après ce que je crois savoir, eux non plus ne possède pas la moindre arme valable;
- Francs-Tireurs et Partisans ? Forces Françaises de l'Intérieur ?
- On dit F.T.P. et F.F.I. Pour moi ce sont tous des patriotes, mais il faut admettre que dans l'ensemble les F.T.P. forment une troupe mieux organisée et plus disciplinée. Ils combattent sous une étiquette politique d'extrême gauche. Ils sont issus des communistes persécutés par les nazis.
Ferdinand arrive le premier puis peu de temps après arrive Paul Lehir.
Les hommes s'assoient autour de la grande table que la servante débarrasse prestement.
- Hélas reprend Thomé répondant aux deux résistants, je n'ai pas d'armes à vous donner, et aucun parachutage n'est prévu dans les jours qui viennent. A Londres, nous n'avions aucune idée de votre organisation. Je le déplore, mais c'est un fait.
- Je sais où il y a des armes de quoi nous équiper tous, F.F.I. et F.T.P. annonce calmement Ferdinand. Ca dépend évidemment de l'effectif dont vous disposez.
- Mes hommes attendent à trois kilomètres. Raconte toujours ton histoire.
- C'est simple reprend Ferdinand. Mon plan consiste à attaquer la Kommandantur de Daoulas. Il y a six mois que j'en rêve. Avec une centaine de paras, armés et entraînés comme vous l'êtes, ça ne devrait pas pouvoir louper.
Ce disant Ferdinand extrait de la poche de sa vareuse une carte détaillée de la région
et un plan précis de la kommandantur qui a été établi par plusieurs de ses hommes qui avaient été arrêtés et y avaient été emprisonnés. Il explique donc son plan.
- Thomé hoche la tête, songeur. Sans lever son regard de la carte et du plan, il demande :
- Combien d'Allemands à l'intérieur ?
- Une centaine mon lieutenant. Cent vingt tout au plus
- Et l'armement dont vous parlez ?
- Ca, vous pouvez être tranquille. La cave et le rez-de-chaussée sont un véritable arsenal. Il y aurait des armes et des munitions pour chacun d'entre nous
- Quel genre d'unité occupe Daoulas ?
- Ici c'est la Wehrmacht, mais ne les mésestimez pas, ils sont jeunes et coriaces. A Landernau, il y a trois compagnies de S.S. Il faut donc tenter et réaliser le coup très vite.
Thomé reste songeur un moment, sort de sa poche une courte pipe qu'il allume et reprend :
- Tu sais à quelle heure ils bouffent le soir ?
- A 6 heures et c'est invariable
- Tu sais à quel endroit du bâtiment ils bouffent ?
- Le réfectoire et les cuisines sont au premier étage …
- Donc à 6 heures, tout le monde se trouve au premier ?
- Tous sauf quatre qui sont de gardes. Les quatre types bouffent avant ou après.
- Bon une dernière chose : l'authenticité de ces renseignements.
- Valable à cent pour cent répond Ferdinand. Certains de mes hommes ont passé plusieurs semaines prisonniers dans ces locaux. Toutes les inforùmations qu'ils en ont ramenés se recoupent.
- Je pense qu'on va y aller ce soir à 6 heures.
Ferdinand et Paul Lehir dissimulent mal leur exaltation
- Si vous nous donniez quelques armes pour faire le coup ,
- Non, mon vieux, je vais tenter le coup avec mes hommes. Mais ne t'inquiète pas, dès que vous serez armés, vous aurez l'occasion de nous faire la démonstration de vos talents. Pour le moment, tout ce que je vous demande c'est de m'aider à mettre quelques détails au point. Et primo, je n'ai besoin que de trois guides.
- Paul, moi et un troisième homme sûr. Mais je ne comprends pas …
- Tu vas comprendre : Ferdinand avec un de mes hommes au transfo. Le troisième avec mon sergent à la chicane, toi tu me conduiras avec le gros de la troupe au jardin du maire.
- Mon lieutenant, une centaine de parachutistes sur une seule voie, ça risque d'attirer l'attention.
- On est moins nombreux que tu ne le penses mon vieux.
- Vous êtes combien mon lieutenant ?
- Clément au transfo, Klein à la chicane, en me comptant, nous serons une dizaine.
- Ils sont cent à cent vingt armés jusqu'aux dents, avec des fusils mitrailleurs, des mortiers.
- Nous aurons l'effet de la surprise. Cela fait plus de deux ans qu'on nous entraîne à ce genre de coups de commando.
4 août; 17 h 45. Sous les yeux admiratifs de Ferdinand, Clément installe avec une précision d'horloger son dispositif de sabotage sur le transformateur.
17 h 55. Le sergent Klein et le jeune Garros, accompagné de Lucien, le troisième homme, viennent de repérer la chicane et les six gardiens. Klein a fait comprendre au guide que tout allait bien et qu'il n'avait plus qu'à se terrer et attendre.
Klein et Garros sont en surplomb, dissimilés par d'épais buissons. Leur position est idéale d'autant que les Allemands ne se méfient pas. Quatre d'entre eux font les cent pas pendant que les deux autres sont assis sur un bloc de ciment. Klein avait l'intention de balancer des grenades. En découvrant la situation, il change son projet, prend sa carabine et se met dans la position du tireur couché. Garros comprend et l'imite.
17 h 57. a cinq mètres les uns des autres, progressant avec souplesse, Thomé et ses huit "zazous" se placent aux postes qui leur ont été désignés sur le plan. Briguet contourne et installe son fusil mitrailleur. Thomé parvient à se dissimuler d'arbre en arbre jusqu'à sept ou huit mètres du perron sur lequel veille une sentinelle inattentive, l'arme à la bretelle.
A plat ventre, à l'abri du tronc d'un gros arbre, Thomé observe l'Allemand. Le jour n'est pas entièrement tombé, mais le ciel est tellement bas et épais qu'à l'intérieur de la Kommandantur, chacune des pièces occupées est allumée.
Thomé est fasciné par l'homme de garde. De lourdes gouttes de sueur perlent sur son front, imprègnent ses sourcils qu'elles imbibent avant de suinter sur ses yeux. A plusieurs reprises, le lieutenant essuie son visage à l'aide du lambeau de parachute qui lui entoure le cou. Thomé constate la moiteur de ses mains; son angoisse s'accroit.
Il avait projeté de sauter sur la sentinelle, mais il vient de constater qu'il en sera incapable. Thomé dégoupille une grenade qu'il conserve dans sa main moite. Il demeure tapi, les yeux rivés sur la trotteuse de sa montre. Il attend le fracas lointain que doit provoquer l'attaque du transformateur.
Le fracas se produit avec deux secondes d'avance. Alors Thomé ouvre la main libérant la cuiller, compte lentement jusqu'à quatre, lance l'engin qui atterrit au pied de la sentinelle, et explose au moment précis où il touche le sol.
L'homme s'effondre, déchiqueté. Simultanément, les sept "zazius" ont bondi et balancent les grenades par toutes les ouvertures. Ils sont ahurissant de précision, aucun ne rate son coup. Après les premières explosions, ils ont resserré leur cercle autour de la bâtisse. Quatre Allemands tentent une sortie. Ils sont couchés par le fusil mitrailleur de Briguet.
Si Thomé n'avait pas hurlé "Halte au feu", les parachutistes auraient continué jusqu'à épuisement de leurs grenades (il en avaient chacun une vingtaine).
Sur l'ordre de leur lieutenant, tous arrêtent leur jet.
Un silence oppressant s'abat. Une fumée grisatre s'échappe de toutes les issues..
- Sortez tous de là et les mains den l'air hurle Thomé en français.
Le lieutenant perçoit au 1er étage un flottement, des bribes chuchotées, un conciliabule hâtif; enfin une voix frépond :
- Kamarads monsieur ! … Tous Kamards !
Le timbre de la voix vibre sous la panique
- Ca vient hurle ? gueule Thomé. Sinon je reprends le tir.
- Pas possible monsieur, reprend la voix terrifiée. Escalier Kaputt.
Sur sa gauche retentit un éclat de rire.
- André, bon sang ! tu te crois aux bains de mer ! braille le lieutenant. Couvez moi, je vais jeter un œil.
Thomé sait que ses hommes l'observent. A dessein, il marche droit, calme, à découvert. A l'in,térieur, sorti du champ visuel de ses "gosses", il bondit à l'abri. Reprend son attitude prudente, méfiante, sa mitraillette prête à tirer. Il jette un bref regard dans le poste de garde, aperçoit quatre corps en charpie.
- André, Guy, rejoignez moi ! crie le lieutenant vers l'extérieur.
Les deux parachutistes arrivent en courant. Thomé leur chuchote :
- Tirez le gros buffet au milieu de la pièce. La seule chose qu'ils puissent tenter, c'est nous balancer une grenade
- Pensez-vous, ils pissent dans leur froc raille le Nabour.
Thomé lui jette un regard sévère.
- Y a-t-il un officier vivant là-haut ?
Une voix grave et emphatique se fait entendre dans un excellent français.
- Capitaine Emmunt, commandant la 11° compagnie de marche. Je suis indemne.
- C'est bon, sautez le premier, et que les hommes valides vous suivent uin par un.
Bêtement la voix répond :
- C'est haut, puis il se rend compte de l'inutilité de sa réponse.
- Je saute, ne tirez pas !
Le capitaine Allemand apparaît dans l'encadrement de la porte déchiquetée qui donne sur un vide de trois à quatre mètres. Il saute et se reçoit gauchement pour se retrouver à quatre pattes. Il se relève visiblement vexé, époussette ses coudes et ses fesses, toise Thomé et déclare :
- Etes vous une unité régulière ?
- Lieutenant Thpmé, 3° R.C.P. voncède l'officier parachutiste.
L'Allemand se fige au garde à vous, claque les talons et saluue longuelment. Solennel il reprend alors :
- Afin d'épargner la vie de mes hommes je choisis de capituler.
D'un geste grandiose, il ouvre l'étui de son pistolet, extrait précautieusement son parabellum de 9 mm puis le tend à Thiomé en le tenant par le canon
- C'est pas vrai, il se croit au ci,é lance Le Nabour
- T'as raison, il a du voir jouer "La Grande Illusion" surenchérit RicharD.
Le visage de l'allemand s'empourpre.
- Lieutenant, je proteste. Je me considère comme prisonnier. Je suis officier. Il est inadmissible que vos hommes se permettent des sarcasmes à mon égard.
- Désolé mon vieux, réplisue Thomé, nonchalant, mais le temps nous manque pour jouer aux honneurs militaires. Allez, dehors, on va s'occuoer de toi selon un rite sacramentel.
Se tournant vers Richard, il ajoute. Va me chercher Bellon et Galano. Occupez vous des bretelles et des braguettes? Ce con d'abord? Après les autres, au fur et à mesure.
- Vous êtes indigne des galons que vous portez jette l'Allemand, outré en passant la porte.
- Au suivant ! Ca descend ? hurle Thomé.
Le premier homme saute.
A l'extérieur, Bellon a fait valser la casquette de l'officier, lui a ordonné d'ôter sa veste, puis de sa dague de commando coupe ses bretelles.
L'Allemand continue à débiter ses vociférations indignées qui atteignent leur paroxysme lorsque Bellon commence à déboutonner les boutons de la braguette. Il se recule horrifié.
- Mon lieutenant gueule Bellon, je crois qu'il a peur qu'on lui coupe la queue.
- Arrêtez de m'emmerder ! Tenez-le et finissez-en !
Galano attrape l'Allemand par derrière; Bellon calme et ravi, coupe soigneusement les boutons de la braguette; Alors Galano lâche sa prise.
Eructant, grotesque, tenant de ses mains son pantalon ouvert, le capitaine de la 11° compagnie de marche, hurle, à bout d'insultes :
- Kommunistes !
Ils sont une soixantaine à subir le même sort. Une quarantaine de morts et une vingtaine de blessés sont momentanément laissés sur place.
Les F.F.I. et les F.T.P. arrivent à bord de deux vieux camions à gazogène. Les armes sont transportées sur les véhicules. Les résistants récupèrent effectivement de quoi équiper deux compagnies.
Thomé est sur le point de donner l'ordre de décrochage lorsqu'un gamin d'une douzaine d'année attive à boutde souffle.
Les S.S. ! hurle-t-il. Avec des tanks. Ils arrivent de Landernau.
Thomé peste contre le tempsqu'il vient de perdre. Il prent une décision instantanée. Il faut freiner la colonne ennemie pendant un quart d'heure au minimum pour permettre aux camions d'armes de trouver un refuge. Le lieutenant a un regard vers le troupeau burlesque des prisonniers qui tiennent leurs pantalons.
Poussez-les jusqu'à la chicane ordonne-t-il. Ils vont nous servir de boucliers. Ca nous donnera le temps de prendre position sur les talus de chaque côté de la route. De là, on balancera des gammon-bombs.
" Les gammon-bombs, arme typiquement S.A.S. &taient d'une boule de plasyic surmontée d'une bonnette détonateur. Les Français avaient amélioré l'efficacité meurtrière des engins en truffant le plastic de boulons, clous, fragment de chaîne de vélo ou toutes autres pièces de métal. Il est arrivé fréquemment qu'une vingtaine d'hommes soient tués par l'explosion d'une seule gammon-bombs. "
Le capitaine en tête, les prisonniers marchent sous la menace à travers la rue qui conduit à la sortie du bourg. Lorsqu'ils parviennent à la chicane, le grondement de la colonne motorisée croît , sourd et lancinant.
Thomé ordonne au capitaine Allemand :
Vous allez vous trouver au centre d'un feu croisé. Un faux geste de l'un de vous et je déclenche le tir. Tenez-vous avec vos hommes devant la chicande. Quand j'attaquerai le convoi, et seulement quand j'attaquerai le convoi, faites pour le mieux, essayez de vous mettre à l'abri.
La colonne s'approche lentement. En tête, deux auto-mitrailleuses; derrière quatre camions; an queue, une auto mitrailleuse.
Dés que le troupeau est pris dans le faisceau des premiers phares, courageusement, le capitaine allemand lève les bras qu'il croise au dessus de sa tête pour prévenir l'embuscade. Son pantalon tombe en tire-bouchon sur ses genoux. Il se penche, se relève et recommence trois fois l'opération.
Le S.S. de l'automitrailleuse de tête ne comprend rien à cette étrange "pantalonnade".
Il poursuit sa progression. Dès que le premier véhicule arrive à sa hauteur, Thomé lance une gammon-bombs qui atteint son but avec précision. L'automitrailleuse s'immobilise. La colonne est bloquée. Provoquée par la surprise, la panique est immédiate et totale.
Courant comme des lièvres sur les talus les parachutistes trouvent les points desquels ils pourront lancer leurs engins avec efficacité. Trois nouveaux véhicules sautent. Du combustible se répand et s'enflamme. Les prisonniers essaient de courir, s'entravent dans leurs pantalons, tombent, se relèvent, cherchent désespérément un abri qui n'existe pas. Les S.S. ne comprennent rien. Ils ne parviennent pas à situer l'ennemi; seuls, quelques uns d'entre eux tirent à l'aveuglette, complètement désemparés.
Un des camions tentent de doubler les véhicules en feu. Il y parvient, dangereusement penché sur deux roues de gauche sur le talus. Le véhicule arrive à s'engager dans la chicane : il est stoppé par une balle qui a sectionné le fil du delco; une gammon-bombs atterrit sur le plateau arrière. Elle tue ou blesse grièvement la totalité des occupants.
Paul Lehir, le mécano, se précipite, ouvre le capot, constate la raison de la défaillance du moteur et bricole les fils pendant que le combat fait rage autour de lui.
En moins de deux minutes le moteur tourne
Thomé a observé le patriote, il hurle :
Tout le monde au camion de tête ! On taille la route.
Les parachutistes se précipitent, bondissent sur le plateau du camion, atterrissent sur les corps des morts et des blessés allemands.
Tu peux y aller crie Thomé ! On est tous là.
Le camion s'ébranle, tandis qu'à l'arrière les "zazous" lancent dans de formidables jets leurs dernières grenades, puis tirent à la mitraillette protégeant leur retraite.
Le camion prend de la vitesse dans la rue principale de Daoulas. Il s'engage après avoir contourné le village sur la route secondaire qui conduit à Saint-Urbin.
Les S.A.S. jettent alors les corps des allemands par-dessus les ridelles. Thomé constate la présence de quatre blessés. Il fait arrêter Le Hir. Précautionneusement, les blessés sont déposés sur le bord de la route.
A landernau, dans la nuit, le capitaine Emmunt se tient au garde à vous devant le major commandant les trois compagnies de S.S. Il n'a trouvé qu'un bout de ficelle pour maintenir son pantalon dont la braguette baille
Avez-vous au moins une idée exacte de leur effectif ?
Précise … Dans la violence du combat c'était difficile. Un bataillon de parachutistes lâche le major songeur
Peut-être une division dans la région, surenchérit le capitaine. A mon avis la presqu'île est infestée d'ennemis dont la mission est sans conteste le siège de Brest.
Les parachutistes qui avaient créés cette panique étaient au nombre de soixante seize.
Paul Lehir, le lieutenant Thomé et les hommes de son groupe (ils ne sont plus que dix : Jean Briguet a trouvé la mort au cours des combats de Daoulas) se sont réfugiés dans une ferme isolée des environs de Saint-Urbin.
Le père Bouguennec, le vieux fermier, est un homme sûr, il a deux fils et une fille. Ils n'ont pas hésité pour recueillir et installer les parachutistes.
Le surlendemain de son double coup d'éclat, Thomé décide de partir seul dans la direction de Saint-Urbin. Il veut repérer un camp de munitions, étudier la possibilité d'un sabotage. L'action s'avère impossible, et revenant sans méfiance à travers bois, il se fait interpeller par derrière :
- Monsieur !
Thomé fait un bond et se retourne l'arme à la main.
- Monsieur, s'il vous plait, monsieur !
Thomé est estomaqué. Il aperçoit un officier allemand, sa mitraillette Schmesser en travers de sa poitrine et sans velléité belliqueuse. Il parait seul et aurait pu abattre le lieutenant d'une rafale dans le dos.
- Les mains sur la nuque ou je tire !
- Ne tirez surtout pas monsieur, je désire me rendre.
- Jette ton arme en la tenant par la bretelle jette le lieutenant.
L'officier allemand s'exécute. Le lieutenant s'approche de lui, le palpe, empoche son parabellum.
- C'est bon, tu peux baisser les bras. Marche devant.
- C'est que je ne suis pas seul explique l'officier. Il y a soixante dix parachutistes qui voudraient se rendre à une unité régulière. Ils vous observent à la jumelle depuis deux heures.
Ils m'ont envoyé en parlementaire à cause de ma connaissance de votre langue.
- Vous êtes parachutistes ? interroge Thomé en pensant un moment qu'il a servi de point de mire pendant une partie de l'après-midi.
- Moi ? Grand Dieux, certes pas ! Je suis professeur de philosophie à l'université de Munich. Je suis ici en tant que capitaine responsable su service météorologie.
Thomé fait le point. Il est évident que l'officier philosophe et ses parachutistes veulent se rendre. Ils surestiment sans doute les forces dont il dispose. Pour lui, la meilleure solution est de les remettre aux F.T.P. et aux F.F.I. qu'il a armés l'avant-veille.
- C'est bon ! décide Thomé. Vous et vos parachutistes vous présenterez dans trois heures au carrefour de Bellevue. Entre temps j'aurai avisé mon colonel, deux compagnies vous attendront. Arrivez sans armes et les mains en l'air sinon je ne réponds de rien.
- Rien à faire, tranche le capitaine "météo".
- Qu'est ce qui ne va pas ?
- Je ne retourne pas donner un rendez vous à mes camarades. Ils veulent se rendre tout de suite. Ils m'ont dicté mesconsignes. Ils veulent que vous les accompagnez à votre P.C.
- Mais ça revient au même ! Je n'ai aucune envie de convoyer tout seul soixante dix soldats ennemis. Suivez mes instructions et ne discuitez pas.
- Rien à faire, reprend l'Allemand buté en s'asseyant sur une grosse pierre avec une mine d'enfant chagriné. Vous ne les connaissez pas. Ce sont des brutes. Quand ils décident quelque chose, il n'est pas question de parlementer. Ils veulent se rendre tout de suite. Si je les déçois, ils vont me massacrer
- Vous vous foutez de moi ?
- Pas du tout. Réfléchissez. Qu'est ce que vous risquez ? Ils ont eu vingt fois l'occasion de vous tuer. Et moi-même, tout à l'heure, j'aurais pu vous tirer dans le dos.
Thomé réfléchit. Effectivement l'Allemand est logique. Et puis, quelle rigolade de ramener à la ferme soixante dix parachutistes ennemis ! Il pense à la tronche du sergent Klein et à celles des "zazous"
- D'accord décide-t-il. Que vos amis me rejoigne ici, deux par deux, à triois mètres de distance les uns des autres, sans armes, et les mains en l'air avec évidence.
L'incroyable se produit. Moins d'un quart d'heure plus tard, la colonne se présente. Les hommes, bras levés sont conduits par un sous officier, un Feldwebel bardé de décorations.
L'insolite équipage parcourt trois kilomètres à travers bois. Il arrive à portée de voix de la ferme Bouguennec.
- Halte, iordonne Thomé. Puis il hurle en direction de la ferme : Klein !
Silence. Le lieutenant reprend les mains en porte-voix :
- Lucien ! Nom de Dieu !
Le jour commence à pâlir. Le caporal chef Paul Clément suivi de Klein cherche à situer le sens de l'appel.
- Par ici, gueule Thomé. J'avance avec des prisonniers. Ne tirez pas !
- C'est le lieutenant reconnait Klein ! Qu'est-ce c'est encore que cette salade ?
Il arme sa Sten. Clément l'imite. Les autres sortent, sur la défensive. Vite ils se rassurent en voyant les bras levés des Allemands.
- Ben, merde alors ! Où avez-vous déniché tout ça mon lieutenant ? bafouille Klein médusé.
Thomé ne répond pas. Il s'adresse à l'interprète :
- Faites les assoir par terre et qu'ils conservent les mains sur la nuque
Le apitaine "météo" traduit l'ordre. Docilement le troupeau s'exécute. Thomé attire Klein à part :
- Envoie un gus prévenir Lehir et Ferdinand. Qu'ils rappliquent en force, on va leur faire un cadeau
- Un chouette cadeau.
- Tu parles ! Regarde de plus près, c'est du beau linge, des parachutistes
- Vous me charriez …
- Va voir leurs insignes. Tu crois pas que je me serais fatiguer à trimballer de l'intendance ?
André Le Nabour a déjà reconnu les insignes.
- Eh ! les gars ! Venez mater un peu ! C'est des copains !
Lehir arrive le soir avec dix hommes armés. Hélas ! Il se montre formel.
- Moi, je n'en veux pas mon lieutenant. Qu'est ce que vous voulez que j'en foute ! J'ai déjà suffisamment de problèmes pour nourrir mes hommes… Je sais parfaitement ce qyue je vous dois, je ferai tout pour vous rendre service et vous être agréable, mais m'encombrer de soixante dix prisonniers, pas question !
Après un rapide coup d'oeuil sur le troupeau, il ajoute sur un ton de concession :
- Je veux bien prendre leurs bottes, mais c'est vraiment tout ce que je peux faire pour vous
- Mais qu'est ce qu'on va en foutre ? Je ne vais tout de même pas tous les buter.
Ferdinand est arrivé peu après accompagné également et répond la même chose.
- Les F.T.P. ? Ils sont dans la même situation que vous.
- Vous pouvez m'aider à leur trouver du pain pour ce soir ?
- J'ai des boules pour mes hommes, on va partager.. Ils vont être heureux s'ils apprennent pour qui ils se serrent la ceinture.
Laissant les prisonniers à la garde de Klein et de ses hommes, les trois hommes partent dans la nuit avec un gazogène visiter les maquis. Partout, la même réponse.
- Nous nous trouvons devant la situation la plus extravagante qu'on peut imaginer maugrée Thomé. Les Schleus sont partout. Il y a ceux qui veulent se battre et ceux qui en ont marre. De plus les Allemands sont encerclés, d'une part par les Américains, et de l'autre par les maquisards qui les traquent sans arrêt en tous lieux et en toutes circonstances. Mais ça ne résout pas mes problèmes.
- On pourrait mettre une annonce dit Ferdinand :
"A céder lot de parachutistes allemands en pleine santé, prix défiant toute concurrence "
Tous éclatent de rire
- Cela me donne une idée continue Ferdinand. Quand un grossiste n'arrive pas à cèder un bloc de marchandises, il la détaille. Pourquoi n'en ferions nous pas autant ?
- Evidemment ! vous pouvez vous charger tous les deux de la distribution
- D'accord ! Demain à l'aube On les prend par deux ou trois et on les distribue dans tous les maquis. Vous pourriez donner l'exemple en en gardant également.
- O.K. ! répond Thomé. Je garde le "Météo" et deux autres qui aideront à la cuisine. Un interprète, ça peut toujours servir par les temps qui courent.
- C'est parti ! répond Lehir. Ferdinand et moi, on s'occupe de la distribution pour chacun de nos groupes. On trouvera à les occuper également. Par petits groupes de deux ou trois, cela ne devrait pas poser de problèmes.
Et c'est ainsi que le problème des prisonniers fut résolu.
9 août à 6 heures du matin, Thomé et ses J.3 sont embusqués de chaque côté de la route entre Sizun et Daoulas. Comme dit Le Nabour, ils attendent le client. Jusqu'à six véhicules, ils attaquent, au-delà, ils laissent passer.
L'attente dans l'aube n'a rien de réjouissant, d'autant que Thomé leur a interdit de fumer
- Les affaires sont en baisse, murmure le sergent Klein. Les rabatteurs roupillent.
Les "rabatteurs" sont des noms que les "zazous" ont donné aux Américains qui ont libéré Lannion, Guingamp, Pontivy et Vannes, et qui, circulant sur cet axe, interdisent aux Allemands leur retraite vers l'est.
Du point où il se trouve, Thomé découvre la route sur plusieurs kilomètres. Il scrute fréquemment l'horizon à la jumelle, prévenant toute arrivée.
- Le fait est qu'ils ne sont pas d'humeur baladeuse, ce matin. Si ça continue, on va rentrer les mains vides.
- On pourrait pas griller une petite pipe mon lieutenant, interroge Guy Guichard sans la moindre conviction.
Thomé ne répond même pas., Guichard hausse les épaules et reprend :
- On se rouille… on peut pas fumer, la seule gonzesse qu'on a vue depuis six jours s'est fait lever par un F.F.I. Pas le moindre petit S.S. à l'horizon et il va pleuvoir. C'est pas des vacances…
- Suffit Guichard tranche Klein. Ton théâtre aux armées, on en a soupé
- Faut bien passer le temps sergent
- Vos gueules ! interrompt Thomé, on a de la visite.
Les visages se tendent, les mains se crispent sur les armes.
Le lieutenant garde la jumelle aux yeux et règle la focale au fur et à mesure de l'approche. Il grince entre ses dents.
- Oh ! putain, quelle merveille.
- Qu'est ce que c'est ? interroge Klein qui ne distingue au loin qu'un point minuscule.
- Une bagnole seule, mais quelle bagnole ! Mercedes ! Décapotable ! La 540 K.
- Elle est décapotée
- Oui, oui, tu parles !
- On balance une grenade en passant mon lieutenant ?
- Non mais tu rêves ! Tu veux m'abimer ma voiture ? Tu tires le chauffeur, et de profil encore, ne va pas me péter mon pare-brise. Il y a aussi un type vautré à l'arrière.
- C'est peut être Hitler lance Guinchard.
- Et des pneus à flancs blancs, des gros tuyaux nickelés sur le côté. Il y a cinq ans que je rêve d'une bagnole comme ça.
Les hommes distinguent maintenant la voiture à l'œil nu, elle glisse silencieuse et majestueuse à petite vitesse.
- Je vais le tirer dans la tempe annonce Klein. Ca ne saigne pas, je voudrais pas salir vos coussins.
La Mercedes passe, un seul coup de feu est tiré. Tué net, le chauffeur bascule en avant et s'effondre sur le volant. Son pied glisse de l'accélérateur, la voiture calle, la voiture s'immobilise. A l'arrière, l'officier s'est retourné, pistolet au poing et vide son chargeur au hasard. A son tour il est tué d'une balle en plein front; c'est Klein qui avec une fantastique précision a tiré aussi le second projectile.
- Je m'excuse mon lieutenant, mais il risquait de faire mal, explique-t-il contrit. Une de ses balles m'a sifflé aux oreilles.
Les parachutistes s'approchent de la superbe voiture et constatent que ses deux occupants sont morts.
- Un général des Waffen S.S. C'est y dommage déplore Thomé. C'est con aussi avec son révolver …
- On lui aurait fait faire la vaisselle à la ferme dans son bel uniforme lance Guichard. J'aurais fait des photos
- Sans compter qu'il jouait surement aux échecs, conclut amèrement Thomé.
Le lieutenant est un peu réticent quand l'ensemble de l'équipe réclame une place à bord, mais il ne peut se résoudre à fractionner ses hommes. Tous les dix s'entassent dans le superbe véhicule et regagne la ferme.
L'officier météo allemand vient de finir le ménage, Thomé lui ordonne de laver la voiture :
- Et que ça brille, l'ancien propriétaire était un véritable porc, c'est une honte de ne pas soigner une pareille merveille ! Quand elle étincellera, vous vérifierez l'huile et l'eau.
- Vous l'avez payée cher lieutenant ? raille l'allemand.
- J'ai débattu le prix. Finalement je crois avoir fait une affaire
Vers midi, la Mercedes est lustrée. Thomé, Klein et Guichard l'admire amoureusement.
- Dépliez-moi une carte lance le lieutenant ce qui est fait immédiatement sur le capot.
- Qu'est-ce que vous cherchez mon lieutenant ?
- Une longue ligne droite.
- Je vois, ça va barder, elle doit approcher les 200
- C'est ce que Mercedes prétend, on va vérifier. En allant sur landerneau, on a dix kilomètres sans virages.
- Oui mais à Landerneau il y a les S.S.
- Regarde ce tournant, il n'est qu'à deux kilomètres de la ville, et on l'apercevra de loin. Il n'y aura alors qu'à faire demi-tour.
- Si vous étiez allemand et que vous gardiez Landernau, ou est-ce que vous placeriez vos fusils mitrailleurs ?
- Dans le virage, et ils y sont surement, mais je te le répète, on le verra de loin et la route est large.
- Vous savez mon lieutenant, je voudrais pas vous faire de la peine, mais les Mercedes, c'est pas tellement réputé pour leur braquage.
- Non mais tu m'uses le moral, sergent. Si tu as le trac, tu n'as qu'à le dire. J'emmènerai la fille Bouguennec, tu n'auras qu'à te charger es travaux ménagers à sa place pendant notre promenade.
Klein qui possède pourtant un indéniable sens de l'humour n'apprécie pas, et quand il est en colère il tutoie son officier, ce qui se fait couramment dans les unités S.A.S.
- Enfin de compte, Thomé tu es un sale type. On a bien tort de t'estimer et de t'aduler. Tu penses qu'à balancer des vacheries méprisantes. Tu n'es heureux que quand tu fais mal.
Thomé répond sur un ton rigolard
- Ca c'est la meilleure. C'est moi qui balance des vacheries alors que ça fait un quart d'heure que tu fais tout ce que tu peux pour me saper le moral. Je t'offre une balade en décapotable et toi, tout ce que tu me dis " Et les boches ont des fusils mitrailleurs … Et il y a des S.S. à Landernau … Et la Mercedes, elle braque pas … " Avoue qu'il y a de quoi s'énerver.
- Oh ! ça va, allons nous détendre chez les S.S. concède Klein.
- Vous m'emmenez mon lieutenant ? lance Guichard qui a assisté à la prise de gueule de ses supérieurs. Moi, j'ai pas peur.
- Continue sur ce ton Guichard, balance Klein, hargneux, et attends que je te coince seul à seul. Tu regretteras de nev pas être tombé dans les mains de la Gestapo.
- Il a raison, Guichard, tranche Thomé. Dans l'armée, l'esprit est le privilège des gradés. Les subordonnés doivent se contenter de rire des plaisanteries de leurs supérieurs.
- En attendant, va chercher une caisse de grenades interrompt Klein. J'en veux plein les sièges. Je sais bien qu'on va se promener, qu'on va se détendre, mais on ne sait jamais.
La puissante voiture avale la route. Thomé à le pied au plancher. L'aiguille de l'indicateur oscille entre 150 et 160. Les trois parachutistes sont enivrés par le vent qui frappe leur visage. Klein regarde loin devant pour découvrir à temps le virage; il ignore que les allemands ont refait la route et que la courbe n'existe plus.
Le poste de garde des S.S. est installé juste à l'entrée de la ville. Les trois parachutistes se retrouvent à sa hauteur à près de 120 kilomètres à l'heure. Les sentinelles ne reconnaissent pas les uniformes, elles saluent la voiture au passage.
- Merde ! gueule Thomé. On est dans la ville ! Si on fait demi-tour, les mitrailleurs risquent de se réveiller
- Ca m'étonnerait que les sentinelles saluent une seconde fois fait remarquer Klein.
- On va essayer de trouver une autre sortie
- Bon, voyons mon lieutenant, c'est enfantin répond Klein en dégoupillant deux grenades qu'il serre dans chacune de ses mains en se retournant vers Guichard pour lui faire signe de l'imiter.
La Mercedes glisse majestueusement dans un dédale de ruelles étroites. Thomé est d'un calme Olympien et conduit avec sureté. Il rétrogradé et s'est saisi également d'une grenade qu'il porte et conserve à la bouche serrant ses dents sur la cuiller.
Les ruelles deviennent de plus en plus étroites. La Mercedes s'engage dans artère pentue dans laquelle elle a juste la place de se faufiler, puis à deux cent mètres devant eux, légèrement en contrebas, les trois parachutistes aperçoivent la grand place de Landerneau. Elle grouille de soldats allemands. Plusieurs d'entre eux regardent intrigués la voiture qui s'approche.
- Je crois qu'on est arrivé déclare calmement Thomé en arrêtant le véhicule en souplesse.
- On fait marche arrière mon lieutenant ?
Thomé ne répond pas, il porte la main au rétroviseur et l'axe dans le champ visuel du sergent. Klein découvre dans le miroir une vingtaine de soldats qui s'avancent vers eux, l'arme à la bretelle. Entre ses dents, klein siffle, admiratif.
- Tenez vous bien, on y va, annonce le lieutenant.
Il emballe le moteur embraye d'un coup sec, parvient à passer la seconde avant la place sur laquelle la Mercedes débouche comme une fusée.
Surpris, un Allemand est happé par l'aile; soulevé, il va s'écraser à trois mètres. Klein et Guichard ont simultanément jeté quatre grenades./ Les engins ont atterri et explosé au milieu de groupes compacts.
Les S.S. étaient occupés à piller; ils entassaient dans cinq camions des draps, des victuailles, des boissons. Ils étaient en tout une soixantaine de retardataires, le reste des deux compagnies ayant quitté la ville une heure avant en direction de Brest
Sans ralentir, Thomé fait le tour de la place. Des dents, il a dégoupillé sa grenade et, conduisant d'une seule main, l'a jetée dans les pieds d'un quatuor de sous officiers qui, en courant, cherchaient un abri
Guichard et Klein n'arrêtent pas et dégoupillent, lancent, dégoupillent, lancent. La voiture fait trois fois le tour. Les grenades explosent à une vertigineuse cadence. La surprise a été telle que chez les Allemands, que pas un n'a eu la moindre réaction de riposte. Tous agissent dans le même réflexe, se mettre à couvert ou fuir.
En moins de deux minutes, il ne reste plus sur la place de Landernau que des morts et des blessés. Tous les hommes valides se sont évanouis dans les rues voisines.
Thomé ralentit progressivement. Un camion démarre lourdement. Une dizaine de survivants a réussi à s'entasser sous la toile du plateau. Guichard réussit un prodigieux jet de grenades à plus de dix mètres dont l'une tombe sur le capot. Le pare-brise éclate, le moteur s'enflamme.
Thomé arrête la Mercedes. Attentifs, la mitraillette au poing, les parachutistes observent.
Un silence insolite et pesant s'est abattu sur la place. Soudain, une porte qu'on entrouvre fait grincer ses gonds. Un petit bonhomme rondouillard apparait circonspect. Il jette à gauche et à droite des regards scrupuleux, puis rasséréné, se ceint d'une écharpe tricolore et avance vers la Mercedes.
- Je suis l'adjoint de l'adjoint au maire explique-t-il à Thomé. En leur absence, j'assume leurs fonctions.
Le ton est solennel puis brusquement il change et crie :
- Vive nos Libérateurs !
Thomé et ses hommes en reste pantois.
Sur la place des volets et des fenêtres s'ouvrent, des drapeaux Français apparaissent et des cris fusent : Vive la France ! Vive nos Libérateurs ! Vive les parachutistes Français !
Thomé sort du véhicule sur lequel maintenant des fleurs tombent. Une adolescente se précipite et l'embrasse sur les joues. Derrière, Guichard en embrasse une seconde à pleine bouche. Soudain Thomé éclate de rire et déclare à ses hommes
- Vous savez ce qu'on vient de faire les gars; On vient de libérer Landerneau !
Sur la citation du lieutenant, lorsqu'il fut, quelques mois plus tard, promu Chevalier de Légion d'Honneur, le général De Gaulle avait fait figurer entre autres faits d'armes " A la tête de sa compagnie, a libéré la ville de Landerneau occupée et tenue par deux compagnies d'élite ennemies "
Le général De Gaulle ignorait que la compagnie en question se composait de deux hommes : Le sergent Lucien Klein et le caporal Guy Guichard.
Source : Livre " Qui Ose Vaincra - Les parachutistes de la France Libre " écrit par Paul Bonnecarrère, parachutiste de la France Libre et qui livre ici les récits de ses compagnons qui comme lui ont participé aux évènements qu'il décrit. De plus il a eu accès pour son livre aux archives de l'association des S.A.S. et des services de l'armée britannique.
Logico- Membre décédé
- Nombre de messages : 32
Date d'inscription : 03/03/2009
Re: Les S.A.S. dans le Finistère
Le télégramme, du 06/06/2010:
Eric29- Nombre de messages : 672
Age : 61
Date d'inscription : 31/03/2010
Re: Les S.A.S. dans le Finistère
Salut
Merci pour ce recit de la "libération de Landerneau" ....je ne connaissai pas la version "officieuse"...mais elle est savoureuse
Unstrut
Merci pour ce recit de la "libération de Landerneau" ....je ne connaissai pas la version "officieuse"...mais elle est savoureuse
Unstrut
Unstrut- Nombre de messages : 90
Date d'inscription : 24/12/2009
Sujets similaires
» Le Finistère Dans La Guerre N° 1 - L'occupation
» occupation allemande dans les 141 communes du SUD-FINISTERE
» occupation allemande dans les 162 communes du Nord-Finistère
» Massacre commis par les paras dans le nord Finistère
» "l’occupation allemande dans le Finistère (1940 – 1944)" de Alain Floch
» occupation allemande dans les 141 communes du SUD-FINISTERE
» occupation allemande dans les 162 communes du Nord-Finistère
» Massacre commis par les paras dans le nord Finistère
» "l’occupation allemande dans le Finistère (1940 – 1944)" de Alain Floch
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum