Bretagne : Occupation - Libération
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L'Opération Dingson

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Message  Logico Sam 17 Oct 2009, 22:40

L'Opération Dingson

Le Manchot :

- Le "Manchot" est rentré.
Il ne faut pas plus d'une minute ou deux pour que, de bouche à oreille, la nouvelle se répand dans le camp secret de Fairford. La lourde Rover beige terne traverse les allées sablonneuses sans ralentir. Le "Manchot" a déjà un pied à l'extérieur avant qu'elle ne freine devant la baraque de commandement. Il s'y engouffre, indifférent au salut des sentinelles.
- Le "Manchot" est rentré mon lieutenant
- Quand vous vous adressez à moi dites : "le commandant", j'ai vu la voiture, merci.
Le sergent chef préfère ne rien répondre. Il sort lorsque la porte est refermée. Il hausse les épaules et rejoint le foyer des sous-officiers. Le long du bar, ils sont une dizaine à l'interroger du regard.
- Ne vous excitez pas, je ne sais rien.
- Tu as dit au lieutenant que le Manchot était là ?
- Il l'avait vu arriver. Je n'ai appris qu'une chose, c'est que quand on s'adresse à Marienne en parlant du Vieux, il faut dire : "le commandant".
Pierre Marienne se tient debout face à la fenêtre du cagibi exigu qui lui sert de bureau. Il se demande s'il a eu raison de prendre le sergent. Dans ce camp, qui n'appelle pas le commandant Bourgoin le " Manchot " ? D'ailleurs , Bourgoin n'accepte-t-il pas ce sobriquet avec une certaine coquetterie ?
Pierre Marienne, lieutenant du 4° bataillon d'infanterie de l'Air, rattaché au S.A.S. britannique. Trente quatre ans, Un mètre quatre vingt, sec droit, intransigeant, cassant, absolu. Le regard noir, sombre de peau, noir de cheveux, noir de poils. Ses hommes ne l'ont jamais vu sourire. Depuis deux ans, le bataillon vit au rythme d'un entraînement qui brise les parachutistes aux limites humaines. Pour la compagnie Marienne, c'est encore plus dur. Pierre Marienne est hanté par un espoir qu'il forge petit è petit en certitude.
Il est 11 heures du matin le 1er juin 1944. Marienne ignore encore que pour l'etat major a pris le nom de " J – 4 ". Il attend, les yeux rivés sur la baraque où il a vu rentrer s'engouffrer Bourgoin. Le bataillon est consigné à Fairford depuis plus d'un mois. Interdiction absolue aux officiers comme aux hommes d'avoir le moindre contact avec l'extérieur. Ils ont tous compris que ces mesures d'exception ne peuvent avoir comme explication que l'imminence du débarquement. L'attente n'en est pas moins angoissante et pesante.
L'avant-veille du départ du "Manchot" pour Londres où il avait été convoqué à l'état-major du Brigadier Général Mac-Leod n'avait été qu'un secret de polichinelle. Son retour suscite une curiosité légitime et passionnée.
Chez Marienne, enfin, le téléphone sonne. Le lieutenant reconnaît la voix grave et sèche du "Manchot". Il s'efforce de répondre posément :
- A midi. C'est entendu, à vos ordres commandant.
Il repose le récepteur, constate la moiteur de ses mains, puis retrouve son contrôle.
Quand Marienne entre dans la baraque de commandement, Bourgoin se tient debout, jambes écartées derrière son bureau. Sa haute taille et sa carrière massive masque les cartes que les officiers convoqués cherchent à apercevoir. Sa manche morte est sanglée dans le ceinturon de son battle-dress. Il a perdu le bras en Tunisie, mais cela n'a en rien freiné son élan : Il a seulement appris à faire la guerre de la main gauche. Malgré son infirmité, il est demeuré un impressionnant colosse. A sa droite, se tient son adjoint, le capitaine Puech-Samson, à sa gauche le capitaine Leblond.
Le lieutenant Botella, le lieutenant Deschamps et le lieutenant Deplante sont entrés sur les pas de Marienne. Bourgoin leur désigne des chaises et des tabourets. Lui seul reste debout. Il parle en savourant son effet :
- Le débarquement est désigné par le nom de code " D Day ". Pour nous ce sera le jour J. Nous sommes à J – 4, ce qui signifie que les Alliés tenteront l'invasion dans quatre jours. Marienne, Deplante, Deschamps et Botella, vous serez parachutés à J – 1.
- Donc dans la nuit qui précèdera les premières vagues, mon commandant, interrompt
Marienne.
- Exactement
Les quatre officiers s'efforcent de ne pas laisser éclater leur enthousiasme.
- Notre mission sera d'assurer un maximum de sécurité sur les plages de débarquement ?
- Là, vous n'y êtes plus du tout, Marienne. Le débarquement doit avoir lieu en Normandie. Vous, vous sauterez en Bretagne. Votre mission est de préparer le parachutage du bataillon qui vous rejoindra par petits groupes chaque nuit jusqu'à J + 10. Notre mission est en même temps imprécise et simple : Bloquer les forces ennemies en Bretagne. Empêcher par tous les moyens le déplacement des Allemands vers la Normandie. Entre le Morbihan et les Côtes du Nord, ils disposent d'un minimum de cent cinquante mille hommes, pour la plupart des troupes d'élite. Nous devrons les harceler pour faire croire que notre action constitue le prélude à un nouveau débarquement. Lequel du reste n'est pas exclu.
- La Résistance mon commandant ?
- Inexistante d'après les renseignements anglais. Il y aurait plus d'un an qu'elle a été démantelée et anéantie. Par contre, il semble que nous puissions compter sur la population civile à quatre vingt dix neuf pour cent. C'est un apport qui est loin d'être négligeable : vous pourrez recruter et armer des volontaires, les instruire le cas échéant.
- En admettant que la totalité du bataillon nous rejoigne en Bretagne, nous serons tout au plus quatre cent hommes pour en immobiliser cent cinquante mille !
- A quoi vous attendiez vous ? On vous a entraîné pour ça.

5Juin 1944 :
Le 5 juin 1944, le quadrimoteur Stirling n° 1 a décollé de Fairford à 21 h 50. a 21 h 55 un second appareil de même type a suivi. Dans le premier, le groupe des lieutenants Marienne (sept hommes) et Botella (six hommes). L'avion doit larguer le groupe Marienne dans le Morbihan, puis au retour le stick Botella dans les Côtes du Nord. Même consigner pour le second stirling : le lieutenant Deplante et ses hommes seront parachutés dans le Morbihan, le lieutenant Deschamps et les siens dans les Côtes du nord.
Le groupe Marienne comprend trois radios : Sauvé, Etrich et Jourdan, ainsi que trois hommes : Krysick, le caporal Bouétard et le sergent chef Raufast.
Les sept parachutistes savent qu'ils sont les premiers. Les Américains doivent sauter une heure plus tard en Normandie. Le point de largage des Français a été choisi d'après des photos aériennes. Ils n'ont aucune précision concrète sur les lieux de concentration des forces ennemies. Les S.A.S. sont en plein bricolage artisanal et la chance va jouer à 90 % L'objectif essentiel de leur mission est de renseigner Londres par radio afin que les sauts ultérieurs de leurs compagnons s'effectuent avec une marge croissante de sécurité.
Avant le départ, ils avaient tous fait le même serment : " Notre premier geste sera d'embrasser la terre de France ". Dans l'action ils l'oublient souvent. Ils sont pris par le mécanisme cent fois répété à l'entraînement. D'abord enterrer les parachutes pour faire disparaître toute trace de leur passage. Ils se regroupent ensuite sans peine à l'aide de minuscules boules lumineuses. Marienne a immédiatement compris qu'ils étaient victimes d'une erreur de largage. Il compte et ses hommes et chuchote :
- Le container ?
Personne ne l'a aperçu. Les anglais n'ont pas dû le larguer assez vite. C'est la catastrophe.
- Il faut le retrouver déclare Marienne. Krysisk et Raufast avec moi. Les radios et Bouétard, ne bougez pas d'ici. Attendez nous.
Les trois hommes s'éloignent en direction d'un bois dont on aperçoit la lisière. Les quatre autres se disposent en carré à deux mètres de distance et s'allongent attebntifs au moindre mouvement.
C'est Bouètard qui le premier perçoit la cavalcade. Les quatre parachutistes arment les mitraillettes et leurs révolvers, préparent leurs grenades. Ils s'aperçoivent vite que les cavaliers arrivent de tous les côtés et les encerclent. Leurs voix leur parviennent distinctement.
- Ce n'est pas de l'allemand assure Etrich, ce doit être du breton.
- Ne déconne pas, ce sont des soldats ! Et il n(y a pas que je sache d'armée bretonne..
D'un bond Jourdan rejoint Etrich, mais il a été aperçu. Une rafale déchire la terre à quelques centimètres d'eux. Instantanément ils ripostent tous les quatre..
- Nous sommes fait comme des rats hurle Sauvé. Les postes !
Les parachutistes retournent leurs armes vers les postes et les criblent de balles.
Pour obtenir un angle de tir plus précis, Bouétard s'est levé. Indifférent à l'ennemi, il ne pense qu'à détruire ses émetteurs. Il est atteint d'une rafale dans les cuisses, d'une balle dans l'épaule; il tombe sur le dos. Les autres continuent d'interdire toute approche pendant plus d'une demi-heure. Ils tirent jusqu'à leurs dernières cartouches, puis lancent leurs grenades. Enfin ils dégainent leur poignard.
- Si on se rend, ils soigneront peut-être "p'tit vieux" suggère Etrich.
Pendant le combat le caporal Bouétard, dit "p'tit vieux" a souffert en silence. Il n'a pas prononcé la moindre plainte, il est cependant demeuré conscient. Les trois compagnons jettent leurs armes désormais inutiles et rengainent leur poignard. Prudemment, les Russes s'approchent, leur ordonnent par gestes de lever les bras.
Un grand Géorgien s'agenouille près de Bouétard et constate les blessures sans ménagement. Il dégaine un parabellum et lui tire une balle en plein front..
Hass se précipite frappe le Russe. A grand coup de gueule le sous lieutenant allemand parvient à rétablir son autorité et c'est grâce à lui que Jourdan, Sauvé et Etrich ne sont pas exécutés sur place. Ensuite ils sont emmenés et considérés comme prisonniers de guerre. Grâce à lui, le caporal Bouétatrd recevra le lendemain des obsèques décentes.
Le caporal Bouétard est mort le 6 juin à 0 h 25. Il est la première victime alliée du débarquement.
Lorsqu'ils perçurent la fusillade, Marienne, Krysik et Raufast se trouvaient seulement à quelques centaines de mètres. Ils rebroussèrent chemin pour leur venir en aide, mais le nombre des assaillants ne leur laissait aucune chance sinon celle de mourir pour rien. Ils repartirent donc dans la nuit, le cœur serré.
Bien qu'elle soit muette et passive, Marienne perçoit la réticence de ses compagnons.
- Vous croyez que cela m'amuse d'abandonner nos camarades ? Nous n'y pouvons rien. On n'attend pas de nous des actes d'héroïsme gratuits, mais de l'efficacité et du bilan. Nous n'avons pas le droit de nous faire tuer, enfoncez vous ça dans le crâne.
-On n'a rien dit mon lieutenant marmonne Krysik. On vous suit.
Après une heure de course folle les trois parachutistes parviennent près d'un cours d'eau. Marienne pressent qu'il s'agit de la Claie. Une image vague de la photo aérienne lui revient à l'esprit et il décide de la traverser.
La Claie n'est large que d'une dizaine de mètres, mais l'eau est glaciale. Elle monte jusqu'à la poitrine des trois hommes qui portent leurs armes et leurs sacs au dessus de leus têtes. Sue la rive opposée, ils reprennent leur course silencieuse, traversent un petit bois et gravissent un mamelon.
Pendant trois heures ils montent sans échanger un mot, économisant leur souffle. Marienne se fie à son instinct, les deux autres le suivent aveuglément.

La Petite Métairie :
Il est moins de cinq heures, une lueur blême annonce la naissance du jour. Cinquante mètres plus bas, Marienne aperçoit une ferme. Il essuie ses jumelles et observe attentivement, guettant un mouvement.
- Il y a six chevaux dehors attachés par des rênes. Ils ont des mors et des couvertures sur le dos, c'est étrange …
- Qu'est ce que vous trouvez d'étrange à ce qu'il y a des chevaux dans une ferme mon lieutenant ?
- Ce ne sont pas des bêtes de trait. On dirait des chevaux de selle. C'st de toute façon qu'il soient dehors à l'aube, et j'ai l'impression qu'ils sont en sueur.
- La cavalerie allemande est motorisée fait remarquer Raufast.
- Je sais, mais il faut attendre, ces chevaux m'intriguent …
Rien ne se passe jusqu'à 6 h 30. Il fait alors grand jour et Krysik aperçoit des hommes. Marienne prend ses jumelles :
- Ce sont des boches !
Les soldats sont visiblement ivres, ils titubent dans la boue. Deus d'entre eus portent une bonbonne, les quatre autres sont chargés de victuailles diverses. Ils disposent leur butin dans des sacs en toile qui pendent sur la croupe des chevaux puis s'en vont en parlant bruyamment.
Les parachutistes sont médusés.
- Ce n'est pas l'idée que je me faisais de l'armée nazie constate Krazik !
- C'est curieux en effet approuve Marienne.
Une heure passe encore sans que plus rien ne se passe.
- Il faut y aller décide Marienne
- Tous les trois mon lieutenant
- J'y vais seul
- Si vous permettez mon lieutenant, c'est moi qui irai, demande Raufast.
Marienne est cueilli à froid et accepte d'un mouvement de tête.
Raufast a laissé son sac. Il a armé son colt, levé" le cran de sureté, mais il laisse pendre l'arme de son bras. Il ne veut montrer aucun signe d'agressivité, il marche d'un pas lent et fait des efforts pour rester calme.
En l'apercevant, la fermière est restée figée. Deux hommes la rejoignent sur le pas de la porte. L'un est vieux, l'autre tout juste adolescent. A deux mètres, Raufast s'arrête.
- Y a-t-il encore des Allemands ? questionne-t-il d'une voix brisée par l'émotion.
- Nous sommes seuls répond l'homme âgé
Raufast respire et désarme son pistolet puis le rengaine. Les bretons le dévisage ahuris, observe cet uniforme inconnu. Ils n'osent pas croire …
- Vous êtes Français ? interroge prudemment le vieux.
- Oui Monsieur
Le vieillard hésite. Raufast comprend qu'il n'ose pas demander.
- Un vrai Français ?
Roufast se détend puis sourit
- Je pense, et j'espère monsieur? J'arrive d'Angleterre
- Un parachutiste alors ! marmonne le vieux. Un parachutiste !
Il s'avance d'un pas usé et serre le poignet de Raufast. Il laisse passer quelques larmes qui glissent entre les poils gris qui couvrent ses joues mal rasées.
- Entrez lance la fermière qui a tout entendu. Entrez vite, vous devez mourir de faim.
Raufast pense à sa mère. Brusquement il est en France et il est le bienvenu. Il se laisse diriger vers une grande table. Timidement, un peu honteux, le vieux lui demande :
- Vous êtes seul ?
Raufast se lève comme s'il sortait d'un rêve.
- Non de Dieu ! Le lieutenant ! Il est caché sur la hauteur avec un autre?. Je n'y pensais plus. Je vais le chercher.
- Laissez. Mon petit fils les trouvera bien et c'est plus prudent..
Quelques minutes plus tard, précédé du gamin, Marienne et Krysik entrent dans la pièce. Ils sont happés par la fermière et le vieux, contraints de manger et de boire. Alors seulement Marienne peut questionner :
- Pouvez-vous me situer votre ferme sur la carte monsieur. Je crains que nous nous soyons égarés.
- Vous êtes à la petite métairie de Saint-Jean-Brévelay, explique le Breton. Ici précise-t-il d'un doigt noueux sur la carte que Marienne a déplié.
Marienne comprend, situe l'erreur de largage et le chemin parcouru dans la nuit.
- Les Allemands que nous avons vu ce matin ne risquent-ils pas de revenir ?
- Ce ne sont pas des Allemands explique le fermier. Ce sont des Russes. L'armée Vlassov qu'ils s'appellent. Des bandits, mais on les voit rarement deux fois le même jour. Vous pouvez rester ici, on vous cachera le temps qu'il faudra.
- Je vous remercie, mais nous ne pouvons pas rester. Je dois tenter une jonction avec un autre groupe.
- Vous n'allez pas partir sans guide, vous vous perdrez mon gars. Je vais vous accompagner.
Pour la première fois la fermière intervient.
- Avec tes pauvres jambes le père, tu penses aller courir la campagne ! C'est Eugène que ça regarde, tu le sais bien.
Amèrement le vieux semble réaliser son âge
- Dame, Eugène bien sûr. C'est Eugène que ça regarde annonne-t-il tristement
- Eugène ? questionne Marienne intéressé
- C'est le fils Maurizur explique la fermière. Il fait sauter les trains. C'est un résistant.
- Il faut trouver Eugène approuve le lieutenant.
- Yves, tu vas prendre ton vélo, va à Plumelec. Si Eugène n'est pas là, il est aux champs ou alors au café à Plumelec. Dis lui que je veux le voir tout de suite, mais dis rien d'autre et dis rien à personne, parle surtout pas des soldats français, c'est compris ?
Le gamin se précipite. Il a conscience d'accomplir la première grande chose de sa vie.

Eugène Maurizur :
Eugène Maurizur n'est âgé que de vingt deux ans mais son tempérament fougueux l'a tout naturellement porté vers la Résistance. Le jeune Yves ne trouve Eugène Maurizur ni chez lui, ni aux champs. Par cette matinée du 6 juin 1944; le résistant était effectivement au bistrot de Plumelec.
Ce matin, ils sont une vingtaine d'hommes imprudemment rassemblés. Comme d'habitude, Maurice alimente la conversation. Il tente de communiquer sa passion à un auditoire qui reste tiède. C'est ainsi que Yves le trouve.
- M'sieur Eugène, le grand père voudrait vous voir.
- Qu'est ce qui me veut l'père Louis.
- J'sais point.
- Dis lui que je viendrai dans la soirée en rentrant
- Faut v'nir tout de suite m'sieur Eugène, c'est pressé
En voyant la tête du gosse, Maurizur comprend tout de suite qu'il se passe quelque chose d'important.
- C'est la vache qui va mettre bas ?
- C'est ça répond le gamin.
- T'as ton vélo ?
- Oui.
- C'est Bon. On y va.
L'homme et l'enfant roulent en silence jusqu'au chemin vicinal qui conduit à Saint-Jean-Brévelay
- Dis moi Yves, je sais aussi bien que toi qu'il n'y a pas de bête en état de vêler à la Petite Métairie. Alors maintenant qu'on est seul, tu vas me dire ce que me veut ton Pépère.
- J'ai promis de rien dire m'sieur Eugène
- Devant les autres, mais à moi tout seul.
- On a des parachutistes plein la ferme
- Vingt Dieu ! Des Anglais ?
- Non, des Français
- Tu te fous de moi
- Vous les verrez dans cinq minutes.
Quand Maurice pénètre dans la ferme, il reste un moment figé sur le pas de la porte. Son regard va de l'un à l'autre des trois parachutistes comme s'il voulait se persuader qu'il ne rêve pas. Puis ils se serrent tous chaleureusement la main.

Le lieutenant Deplante :
A quelques kilomètres de là, sur la rive opposée de la Claie, le lieutenant Henri Deplante se terre avec ses six hommes. Le stick Deplante largué du second Sterling a atterri sans dommage : Les parachutistes se sont regroupés sans peine, les radios et le matériel sont intacts. Mais l'erreur de largage a été énorme. Prés de douze kilomètres et le lieutenant comme Marienne ignore où il se trouve.
A l'orée du bois ils sont parfaitement camouflés. Ils ont avec eux des pigeons, mais lorsqu'ils les lâchent où ils vont se percher sur des branches, ou ils reviennent dans leur cage
- Arrête de gaver ces pigeons, grince le lieutenant.
- J'ai Londres interrompt Paulin.
Son casque sur les oreilles, attentif, il note. Les hommes se rassemblent pour lire au fur et à mesure. Anxieux ils suivent la course précise du crayon.
- Allo Pierre. Allo Pierre … Je n'ai pas de message pour vous. Voici les nouvelles : Ce matin dès l'aube, les forces alliées ont débarqué sur la Côte Normande. Les opérations se poursuivent favorablement. Courage ! Vive la France §
- Ca y est cette fois ! Ca y est lance Deplante.
- Ca nous dit pas où nous sommes ni où se trouve le groupe Marienne, remarque chilou.
- Pour l'instant, attendons l'heure de transmettre. Après, on avisera.
A 10 heures moins 5, Paulin, Belly et Charbonnier préparent l'émetteur. Paulin lance son message. Le lieutenant en trace un double destiné au premier pigeon :
" Bon atterrissage à 10 kilomètre – Stop – Marienne pas au rendez vous – Stop Région calme – Stop – Attendons jusqu'au matin du 8 – Deplante "
Le double du message est placé dans la bague du pigeon. Pams caresse l'oiseau et le lâche en lui disant : Bon voyage . Le pigeon regagne sa cage et pivore ses grains. Même chose avec la seconde tentative du 2ème pigeon..
- Saloperie de bestioles lance Pams. Tu sais ce que tu risques …
- Planquez vous. Quelqu'un vient lance Chilou.
Des bergères constate Deplante mais un chien qui les accompagne s'arrête à un mètre d'eux dans un concert de grognements?
- Ici Poilu crie une bergère intriguée
- Si on lui donnait un sucre suggère Pams.
- Arrête de faire le con lance Deplante qui se lève et leur crie :
- Appelez votre chien mademoiselle. Nous ne vous voulons aucun mal. N'ayez pas peur.
Il faut quelques minutes pour que les jeunes filles comprennent qui sont ces soldats en uniforme. Deplante comprend vite qu'il peut leur faire confiance. Moins d'une heure plus tard, deux hommes se dirigent vers leur cachette et leur apportent des victuailles
A 6 heure de l'après midi, Pams signale une autre approche puis très vite il reconnait Marienne et Krysik qui arrivent guidés par Eugène Maurizur.
Je vous conduis tous à la ferme du Pelhue, déclare Maurizur. Vous y serez momentanément en sécurité. De là, nous aviserons.
La première jonction est "établie. Un groupe d'une dizaine de parachutistes a établi le contact avec la Résistance du Morbihan.


La Mission de Marienne

La Nouette :
Dans les heures qui avaient suivi la jonction des sticks Marienne et Déplante. Un optimisme compréhensible et superflu avait plané sur le groupe.
Eugène Maurizur avait conduit les parachutistes à la ferme de Pelhue. A leur départ d'Angleterre on leur avait précisé qu'ils n'avaient en rien à compter sur la Résistance. Or Maurizur était en train de leur faire une démonstration éclatante qui mettait évidence le mal fondé de ces affirmations.
Plus de deux mille personnes, armés et organisés obéissent aux instructions de leur chef, le colonel Morice affirmait le jeune résistant. Nous pouvons en assembler et en armer le triple. Depuis l'annonce du débarquement, ils convergent tous vers un point précis : le colonel Morice a établi son PC dans une ferme, La Nouette, à proximité du bourg de Saint-Marcel. Ce sera le plus grand rassemblement des Forces Françaises de l'Intérieur depuis leur création. Si vous nous encadrez, c'est une armée que vous pouvez lever.
Marienne n'en croit pas ses oreilles : la sincérité, la confiance de Maurizur sont communicatives. Deplante est plus réservé. Il entrevoit le danger d'un grand rassemblement, mais craint de jouer les défaitistes. Pourtant, il remarque :
- C'est contraire à nos instructions. Nous devons saboter par petits groupes les voies de communications, éviter au maximum de nous faire repérer.
Marienne éclate :
- L'état-major vient de faire la preuve de sa carence en matière de renseignements. Les ordres que nous avons reçus nous ont été transmis en fonction de données qui se révèlent erronées. Il faut prévenir Londres, les amener à réviser leur plan.
- Que savons-nous de l'efficacité de ces combattants ? Je ne mets en doute, ni leur patriotisme, ni leur courage, mais tu sais aussi bien que moi que ça ne suffit pas.
- Nous sommes là pour les seconder, les encadrer, les armer.
- Et leur inculquer en quelques heures ce que nous avons mis des années à apprendre ?
Mais rien ne peut altérer la fougue de Marienne. Eugène Maurizur, lieutenant F.F.I. semble lui avoir miraculeusement sa brûlante ardeur.
- De toute façon conclut Marienne, nous devons suivre Maurizur et entrer en rapport avec le colonel Morice. En conséquence nous gagnons le village de Saint-Marcel.
Maurizur dispose d'une vieille traction avant, il connait les chemins secondaires et connait les habitudes des allemands.
A l'aube du 8 juin, les parachutistes s'entassent dans le véhicule, ils ont une vingtaine de kilomètres à parcourir et ne rencontre personne.
Le minuscule bourg de Saint Marcel se situe dans l'angle d'un triangle isolé formé par les villages de Malestroit au nord-est, Sérent au nord-ouest et Elven au sud-ouest. A trois kilomètres de saint marcel, la ferme de La Nouette apparait immédiatement aux parachutistes comme un refuge judicieusement choisi. La superficie de 50 hectares sur laquelle la Résistance se propose d'établir un camp de base compte tous les éléments nécessaires à la sécurité.
Le choix de Saint Marcel, de la ferme de la Nouette, renforce Marienne dans sa conviction: La Résistance est organisée par des militaires avisés.
Maurice Chenailler, dit colonel Morice, chef de la Résistance dans le Morbihan a précédé les parachutistes d'une heure dans la ferme de la Nouette. Agé d'une cinquantaine d'année, il donne une belle image de l'armée clandestine. C'est un officier pondéré, réfléchi et lucide qui reçoit Marienne, Deplante et leurs hommes.
Marienne apprend que deux postes sont installés un Euréka et un S.phone; l'équipe radio de la Résistance est en contact avec Londres.
Marienne et Déplante saluent les fermiers et leurs cinq filles. Puis pendant que Déplante part chercher à l'extérieur un refuge où il pourra installer ses antennes, Marienne s'enferme en conférence avec le colonel Morice. A l'horizon, des groupes armés commencent à apparaître. Ils arrivent avec des moyens de locomotion les plus divers : charrettes, vélos, vieilles guimbardes.
Dans une chambre accueillante, celle des Pondards, la première réaction du lieutenant Marienne est de s'étonner du manque de précautions qui entoure le mouvement des résistants.
- Ca ne fait que commencer, explique Morice. J'ai lancé un ordre de mobilisation générale aux bataillons de Ploërmel, de Josselin, de Vannes, d'Auray et de Guehenno. L'affluence à Saint Marcel ne va faire que croitre dans les jours à venir. Je pense que nous serons plus de trois mille dans quelques jours. Tout est prévu pour recevoir, alimenter et instruire cet effectif. Je ne vous cache pas que l'issue de l'opération dépend en grande partie de votre aide et de votre soutien. Il faut convaincre Londres d'envoyer des renforts, des armes, des munitions.
- La création d'un camp retranché n'a jamais été envisagée par l'état-major fait remarquer Marienne.
- Je sais tranche le colonel Morice, mais c'est votre rôle de le faire revenir sur sa décision, de lui ouvrir les yeux sur la réalité. J'ajoute que vos missions de sabotage pourront partir chaque jour du camp de Saint Marcel. Nos hommes qui connaissent la région vous accompagneront. Les missions accomplies, vos hommes pourront rejoindre le camp où ils seront à l'abri.
- Il est impossible que ce camp ne soit pas décelé par les Allemands. Qu'adviendra-t-il s'ils l'attaquent ?
- Tout repose sur la logique lieutenant. Les Allemands n'attaqueront pas. Ils ne peuvent pas se le permettre. Un coup d'œil vous a suffi pour évaluer la position stratégique de notre base. Il faudrait un corps d'armée pour nous en déloger. Les Alliés progressent en Normandie. Les Allemands ne livreront pas un combat au cours duquel ils risqueraient de subir des pertes énormes, et ce, pour enlever une position qui ne les intéresse en rien.
L'argument convainc Marienne. A midi il lance le message suivant, inspiré par le colonel Morice :

" Pierre 1, indicatif 101 – Confirme message adressé par commandant F.F.I. – Confirme 10 compagnies faiblement armées sur 25 – Envoyer urgence tous officiers disponibles, troupes et matériels, en particulier Bren Gun – Votre présence ici indispensable. Urgence – Suis enthousiasmé par organisation et ses possibilités – Le Q.G. Résistance affirme pouvoir aider d'ici Samwest – Charlotte et Dudule seront défendus et installés – Prévenez toutes les missions que les rendez-vous se portent bien – Confirme D.Z. 418 233 O.K. 9. Convient également pour planeurs. Vous attendons nuit de D + 3 à D + 4. Serez guidés par Euréka – Terrain balisé et défendu – Lettre de reconnaissance convenue – 50 camions 3 tonnes 50 voitures tourisme disponibles. Avons grosses réserves vivres et cheptel sauf farine – Envoyez d'urgence essence, matériel sanitaire et uniformes avec, si possible, identité – Attendons confirmation de votre arrivée – Resterons un moment silencieux – Signé : Pierre 1 "

Au camp secret de Fairford le message de Marienne plonge les chefs dans la consternation. Au sein des états-majors on n'aime pas repenser les prévisions, changer les données des problèmes.
Le commandant Bourgoin et le capitaine de Puech-Samson cherchent à comprendre l'enthousiasme délirant de Marienne. Le général Mac-Leod les a rejoint. Il vient de transmettre le message en haut lieu et commente la réponse :
- Les huiles se lavent les mains de la Bretagne. Jusqu'à nouvel ordre, ils ont les yeux braqués sur la Normandie. Pour le reste, ils se basent sur un postulat.
Les S.A.S. fixent les 150 000 Allemands qui sont cantonnés en Bretagne. Tant que ces troupes ne font pas mouvement vers le nord, elles ne les intéressent en rien. La réponse que j'ai obtenue peut se résumer en une phrase : " Nous n'avons pas la prétention de vous apprendre votre métier. Vous avez une mission à remplir. Accomplissez-la et foutez nous la paix ! "
- Evidemment, grogne le "Manchot", carte blanche, c'est plus pratique.
- Le destin du régiment se trouve dans les mains de Marienne. S'il s'est trompé dans ses estimations, adieu belle jeunesse ! Les Allemands sont 150 000 en Bretagne, et parmi eux des S.S., des parachutistes de la division Kreta – une belle bande de tendres.
- Marienne est l'un de nos meilleurs officiers fait remarquer Puech-Samson. Ce n'est ni un rêveur, ni un poète.
- Je sais, je sais mais je me méfie de l'exaltation qui peut découler de la fantastique situation dans laquelle il se trouve
- Alors?
- Alors, on y va de toute façon. Nous serons mieux sur place pour juger. Lancez les parachutistes sur Saint Marcel. Commencez cette nuit, étalez les rotations. Que l'ensemble des hommes soit sur place dans une semaine. Vous et moi sauterons la nuit prochaine.
Le caporal Robert Croenne, dit "Bébert Fend-la-bise" vient d'apprendre qu'il, est de ceux qui partent ce soir dans la nuit du 9 au 10 juin. Il a peu d'information sur la situation de France qui depuis le 4 juin l'ont précédé et il se demande s'il retrouvera facilement son copain Pams.
Ce soir c'est son tour. Ils sont seize à bord.
Peu de temps après dans la cabine du Sterling,; le Manchot se tient debout derrière le siège du pilote. Son bras valide s'est tout naturellement posé sur l'épaule de l'officier Anglais.
- Nous arrivons mon commandant, vous devriez vous préparer.
Le balisage ! Bourgoin n'en croit pas ses yeux, et pourtant une multitude de quinze points lumineux éclaire la nuit et dessine parfaitement le périmètre du drop-zone
Ils sautent en grappe, Bourgoin en tête. Son parachute est tricolore; Attention anglaise
Bourgoin se fait mal à la cheville en prenant contact avec le sol, mais il réalise vite que ce n'est pas une foulure.
- Marienne ! Bon Dieu ! Qu'est ce que c'est que cette kermesse ?
- Je sais mon commandant, mais ne les décevez pas. Votre présence représente tellement de chose pour eux. Les gars ont parlé de vous. Vous devez comprendre.
- Je suis très sensible à votre à votre service de relations publiques, mais je déplore qu'il vous fasse oublier les règles élémentaires de sécurité? Cette foire d'empoigne est certainement perceptible à des kilomètres.
- Les Allemands n'ignorent pas notre présence, je vous expliquerai.
Le Manchot radoucit son ton.
- Je pense effectivement que vous allez avoir beaucoup de choses à m'expliquer.
En prononçant le mot de kermesse et de foire d'empoigne, Bourgoin n'était pas loin de la vérité. Son inspection le lendemain matin le confirmait.
Après une enquête de plusieurs années, Roger Leroux correspondant du Comité d'Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale dans le Morbihan, a établi un rapport d'une
extrême précision sur la bataille de Saint marcel dont voici un Extrait :

"Le commandement départemental des F.F.I. dispose d'une compagnie de transport dirigée par le capitaine Monnier de Ploërmel, président du syndicat des transporteurs et membre de m'état-major. Le docteur Mahéo organise le service sanitaire pour recevoir et soigner les blessés. Deux infirmeries sont installées, l'une dans un garage, l'autre dans le grenier de La Nouette, au dessus de la cuisine de la famille Pandart.
"Les bureaux de l'état major se sont installés un peu partout; quelques uns dans les greniers. De nombreuse secrétaires et dactylos travaillent toute la journée. D'autres jeunes filles travaillent à la confection de milliers de brassards, de drapaux et de fanions. Enfin deux aumôniers sont à la Nouette depuis le 6 juin.
" A la suite des télégrammes de Marienne, le commandant décide dec se fauire parachuter à Dingson ainsi que le reste de son bataillon qui sera largué par groupes de dix hommes. Il arrive dans son bataillon dans la nuit du 9 au 10, en même temps qu'une cinquantaine d'hommes et avec une cinquantaine de containers pleins d'armes. Il est surpris par l'atmosphère de kermesse qui règne à la Nouette. Il y a des lumières de tous les côtés. Les patriotes vont et viennent fébrilement dans des tenues des plus étonnantes. Tous les civils du voisinage ont assisté au parachutage. Il y a du monde partout, dans les appartements, les hangars, les écuries, dans les champs, dans les bois. Une exaltation extraordinaire s'est emparée des F.F.I. à la vue de ces hommes qui tombent du ciel pour les armer et les encadrer, qui ne parlent que de se battre pour contribuer à la libération du sol national dont la guerre les a éloignés depuis plusieurs années.
" Les parachutistes jouissent d'un énorme prestige, parce qu'ils viennent d'Angleterre, parce qu'ils se sont déjà battus contre les Allemands en Lybie, mais aussi parce que leur présence donne la certitude que des armes vont arriver en masse. Au cours des nuits suivantes, d'autres parachutistes suivront. Il finira par y en avoir plus de 150.
" A la demande du commandant Bourgoin; Morice invite les bataillons des F.F.I. à rallier la Nouette ( on commence à dire le camp de Saint Marcel) par petits détachements pour les faire armer. Chaque nuit ( sauf celle du 11 et du 15 juin où le temps ne le permit pas) des avions Sterling lâchent des containers à raison de 28 par appareil. Le 13 juin 25 avions lâchent environ 700 containers et colis ainsi que le lieutenant-colonel Wilk (alias Fonction). C'est le plus important parachutage de France occupée (selon le témoignage de l'ancien chef départemental du B.O.A.). Du 9 au 17 juin 68 avions parachutèrent des hommes et des containers sur le terrain "Baleine".
" L'armement reçu était Anglais et comportait des pistolets, des mitraillettes, des fusils, des carabines, des fusils mitrailleurs, des engins antichars, des mines, des grenades.
" Le 17 juin arrive le stick du lieutenant de La Grandière avec quatre jeeps. Ces jeeps avaient été aménagées spécialement, elles n'avaient ni pare-brise, ni capote. Le siège arrière était supprimé pour donner de la place au mitrailleur servant une Vickers montée sur pivot mobile ".

L'effectif des partisans ainsi armés dans le camp de Saint Marcel est impressionnant : il dépasse trois mille hommes.

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