Bretagne : Occupation - Libération
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L'Opération Dingson (Suite et fin)

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L'Opération Dingson (Suite et fin) Empty L'Opération Dingson (Suite et fin)

Message  Logico Sam 17 Oct 2009, 22:46

Saint Marcel

Le Manchot :
Par le même parachutage que le commandant Bourgoin, deux étrangers avaient sauté sur Saint Marcel. Deux officiers de même grade (commandant), pourvus de la même mission : Observateurs. L'un était le major Cyr qui appartenait à l'armée des Etats Unis, l'autre, le major Smith représentant l'armée britannique.
Avant cette mission, ils ne se connaissaient pas. Par un curieux hasard, ils avaient un point commun (c'était bien le seul), tous deux portaient des lorgnons. Cyr, l'américain, troquait ses binocles pour des verres de contact dans les grandes circonstances (son parachutage ou l'imminence d'un coup dur), Smith ne quittait jamais le pince nez cerclé d'or qui pendait à son cou par le ruban noir et qu'il rajustait en toutes circonstances.
Long, maigre, chauve et distingué, le major britannique était amoureux fou de son personnage, pourtant bien classique de l'officier anglais flegmatique pour lequel deux choses semblent primer inexorablement : l'humour et la tradition.
Depuis son arrivée il parcourait le camp dans un uniforme immaculé, une badine sous le bras. Il s'arrêtait fréquemment auprès des groupes de partisans, ajustant ses lorgnons, et il dévisageait les soldats de fortune, affectant un dédain horrifié. Pourtant il ne pouvait dissimuler la sympathie et l'admiration que lui inspiraient les jeunes garçons. Après ses brèves inspections, il levait les yeux au ciel et marmonnait :
- Gracious God ! (Dieu gracieux)
Les partisans étaient littéralement subjugués par la personnalité de l'officier. Pour eux, c'était nouveau, ils voyaient l'ensemble de l'armée britannique à son image, ils étaient admiratifs et amusés par les trouvailles de Smith.
Le 16 juin, deux heures après le survol du camp retranché, par l'avion d'observation allemand, Bourgoin aperçoit par la fenêtre de la ferme, un rassemblement insolite. Il demande à Marienne de se renseigner. Marienne respectueux des traditions militaires se décharge sur un caporal-chef qui passe. Le parachutiste revient très vite goguenard :
- C'est le rosbif, il prend un bain mon lieutenant. Vous devriez aller voir ça, C'est pas à louper.
- Le major Smith Marienne à l'intention du "Manchot"
- Ca tombe bien, réplique Bourgoin, je voulais le voir, ça nous changera les idées. Allons assister au spectacle.
- Quand à toi, ajoute-t-il en se tournant vers le caporal-chef, tâche de montrer un peu plus de respect, quand tu parles d'un officier supérieur, fût-il anglais.
Le caporal bredouille :
- Excusez moi mon commandant.
- Belle excuse, tu ers bien le genre de gus à m'appeler le "Manchot" derrière mon dos.
Le caporal simule grossièrement la répugnance à cette idée. Il semble carrément outré qu'une telle pensée ait pu traverser l'esprit de son chef.
- Oh, ça non mon commandant. J'oserais jamais ment-il effrontément.
Le caporal avait raison. Le spectacle vaut le déplacement. Le major Smith est plié dans un immense baquet dont les partisans réchauffent le contenu, se passant à la chaîne des seaux d'eau fumante; une épaisse crème mousseuse s'est amalgamée sur la poitrine de l'officier, déborde du baquet autour duquel elle forme une écume diaphane qui scintille au soleil. Un partisan frotte vigoureusement le dos de l'Anglais à l'aide d'un gant de crin de fortune; un second tient devant lui un rapport dont il tourne les pages. Le binocle du major Smith est posé sur son arête nasale.
Bourgoin sourit. Marienne rit carrément.
Le "Manchot" jette un regard circulaire et déclare gaiement :
- Je ne vois pas où sont cachées les caméras.
Smith détache précautionneusement son lorgnon, qu'il glisse délicatement entre son pouce et son index afin d'éviter de le mouiller.
- Commandant, ravi de votre visite et de votre réflexion. Votre humour s'améliore Ca me rassure : On ne peut pas gagner une guerre si on la fait sans humour. C'est déjà tellement triste, une guerre dans son principe. Si en outre, on la prend au sérieux, ça devient très ennuyeux, odieux même.
Le major anglais s'exprime en français sans la moindre faute de grammaire et de syntaxe. Il trouve les mots justes sans le moindre effort, mais il conserve un accent tellement prononcé qu'on se demande s'il ne le cultive pas pour parfaire son personnage.
- Vous avez sans doute raison dans un sens réplique le Manchot, mais au risque de vous paraître un rabat-joie, j'aimerais vous entretenir de questions qui vous sembleront austères, je le crains, mais qu'hélas, Nous devons débattre.
- Parfait commandant, parfait.
S'adressant au jeune F.F.I. qui savonnait ses épaules, il ajoute :
- Marcel, rendez moi le service d'aller voir s'ils ont fini de détacher et de repasser mon pantalon.
- Ah, parce que vous avez aussi un pressing ? remarque Bourgoin.
- Oui, oui, commandant. Bien sûr votre camp est sympathique, il y règne une atmosphère joviale, mais hélas ! il est horriblement salissant.
Lorsque Smith rejoint la ferme, il a l'allure d'une affiche vantant les mérites de l'armée. Bourgoin remarque la perfection du pli de son pantalon.
- Asseyez-vous Smith. J'aimerais bavarder un instant seul à seul avec vous.
- Je vous écoute mon commandant.
- Non, c'est moi qui vais vous écouter. Depuis votre arrivée, vous ne m'avez pas fait part de votre opinion. Or, il faut que je compare votre optique à la mienne. Je ne prétends pas être infaillible.
Smith conserve un long silence avant de répondre :
- Avant tout, sachez que si j'avais été à votre place, j'aurais agi exactement de la même façon que vous. Si j'avais été à celle de Marienne, exactement de la même façon que lui. Aujourd'hui, je constaterai que je suis dans un tragique bourbier, mais je ne regretterai rien et ma conscience me laissera en paix. Ce sont les événements qui vous ont imposé ce gigantesque rassemblement. Il aurait été vain de chercher à contenir ce ras de marée aussi enthousiaste. Même Marienne avec les quatre jours d'avance qu'il avait sur vous n'aurait pu l'endiguer. En ce qui vous concerne, la question ne peut se poser. Vous vous êtes trouvé devant le fait accompli.
- Ne dites pas ça, je commande ce régiment. Il ne saurait y avoir d'autres responsables, mais voyez-vous une issue ?
- Aucune. Renvoyer ces hommes équivaudrait à les vouer à une mort certaine, et il est très vraisemblable que c'est ce qu'attendent les Allemands. Ils pensent que tôt ou tard, vous cèderez à la panique et ordonnerez la dispersion. Ils nous attendent au coin du bois.
- Je partage hélas ! votre point de vue.
- La seule solution consiste à armer et à instruire ces jeunes gens. Suppléer à leur inexpérience par la fougue qui les habite, palier leur indiscipline par leur bonne volonté. On ne peut pas forger des soldats en quelques jours, mais on peut faire des combattants. Je crains que ça ne minimise pas la cause, mais au moins, elle sera réciproque. Reste évidemment l'hypothèse d'un second débarquement en Bretagne qui décongestionnerait notre position. Là-dessus vous devez en savoir plus que moi.
- Hélas oui, on ne l'a pas dit ouvertement, mais je suis persuadé que notre mission est un bluff colossal destiné à empêcher l'ennemi de dégager la Bretagne.
- Alors le seul espoir réside dans la Force Alliée de Normandie. Peut-être parviendra-t-elle jusqu'à nous avant que les Allemands ne se décident à nous attaquer.
- A rejeter également. Les Alliés progressent et doivent progresser est-sud-est et passer bien au dessus de nous.
Smith hoche la tête tristement
- Je vois. L'éternelle histoire de l'unité sacrifiée …
- C'est le jeu. On ne peut reprocher à un état-major de manquer de sentiment, surtout avec un objectif de cette envergure. Ce n'est pas sur mon régiment que je m'apitoie, mes hommes ont toujours su où ils allaient, ils n'ont jamais pensé qu'on les emploierait à balayer le front après le combat. Mais cette bande de gamins …
- Eux aussi, savaient où ils allaient, commandant, en tout cas la plupart d'entre eux. Beaucoup vont probablement mourir. Les autres vont devenir des hommes en quelques jours. C'est la guerre.
- Eh oui, c'est la guerre. Depuis l'ordre de parachuter le 2° R.C.P., nos grands stratèges ont rayé la Bretagne de la carte.
- Que voulez vous, conclut Smith en souriant, c'est la rançon de la gloire. Depuis la Libye, ils ont appris à faire confiance aux bloody frogs !

Le lieutenant Seymour :
Si, au cours de sa vie, Donald Seymour eut une surprise, ce fut bien le jour où la commission de réforme le déclara apte au service armé. Petit, maigrichon, asthmatique, souffreteux, myope, Seymour vivait paisiblement dans une ville secondaire du Massachusetts, assumait les fonctions d'archiviste à la bibliothèque municipale, partageait son existence de célibataire entre ses dossiers qu'il chérissait et la multitude de médicaments anodins qu'il classait avec un ordre jaloux.
Il avait presque honte de se présenter devant la commission. Un an plus tard, il recevait les insignes de sous-lieutenant. Un concours de circonstances faisait éclater ses capacités et il était versé à l'état-major du général Eisenhower en qualité de lieutenant archiviste. C'est le poste qu'il occupait au Jour J.
Les archives de l'état major suprême Allié étaient classées dans l'immense sous-sol de Southwick House, dans les environs de Portsmouth, à quelques kilomètres de la célèbre roulotte du commandant en chef Eisenhower.
Le lieutenant Seymour assistait, à l'écart, aux conférences quotidiennes des hommes qui tenaient dans leurs mains la destinée du monde. Il arrivait le premier dans la salle des colloques, en repartait le dernier, ramassant soigneusement les dossiers les plus lourds de l'histoire contemporaine.
Pour les chefs de l'état-major allié, Seymour était un meuble. Il était rarissime qu'on lui adressât la parole. Il suivait la conversation, pressentait la nécessité de tel ou tel document, envoyait son adjoint courir le chercher.
La perfection avec laquelle il assumait ses fonctions, la discrétion dont il faisait preuve, accentuaient la modestie de son rôle. Aucun des officiers supérieurs ne l'aurait reconnu en le croisant dans la rue.
Au sous-sol où il régnait sur une dizaine de subordonnés, Seymour agissait avec la même réserve, et nul n'aurait pu percevoir la flamme qui l'habitait, la fierté légitime qu'il ressentait pour la confiance qu'on lui témoignait.
Avec passion, il lisait, relisait tous les rapports, mettant un point d'honneur à comprendre, non seulement leur contenu, mais surtout le mécanisme des cerveaux qui les avaient conçus.
Jour J + 10, 16 juin 1944, dans la salle de conférence autour du général Bedell-Smith, chef d'état-major d'Eisenhower, sont réunis l'amiral Ramsay, le maréchal de l'Air Tedder, le maréchal de l'Air Leigh-Mallory.
A sa place habituelle, Seymour n'a pas son attitude courant de, mais personne ne le remarque; il est pourpre, il transpire, essaie de vaincre sa maladive timidité. Depuis le matin, il est décidé à intervenir, à poser la question qui depuis trois jours hante son sommeil.
Depuis trois jours, des arguments contradictoires se heurtent dans son esprit. Seymour suit le tourbillon précis des propos échangés par les cerveaux de l'état-major, souhaite que son problème vienne enfin sur le tapis, lui évitant d'intervenir.
11 h 30. Tout semble terminé pour aujourd'hui. Tedder s'est levé, bourre sa pipe pour la quatrième fois.
- Pourrais-je ajouter un mot mon général ?
- Je vous écoute, lieutenant, répond Bedell-Smith.
- Mon général, depuis J – 40, il n'a plus été question une seule fois de la seconde vague de débarquement, celle du Golfe du Morbihan, de l'embouchure de la Vilaine
Bedell-Smith ne veut pas répondre à la légère. Il est sérieux et répond
- Il y a longtemps que ce point a été rejeté. Il n'avait été envisagé qu'en cas d'échec en Normandie. Je ne vois rien en ça qui puisse vous tracasser.
- Justement mon général, ce qui me tracasse, c'est la position tragique des parachutistes français de Bretagne. Ils semblent s'attendre à un très puissant renfort.
Les "huiles" échangent des regards intrigués. Les parachutistes français de Bretagne … Personne ne les a oubliés, mais ils remplissent leurs missions puisque sur le front de Normandie, aucun renfort n'est parvenu en provenance du sud.
- Expliquez-vous Seymour
- Seymour retrouve son assurance et a préparé ses dossiers.
- Voici les rapports du général Mac-Leod mon général.
Bedell-Smith parcourt rapidement les feuilles. Sévère il déclare :
C'est aujourd'hui que je prends connaissances de communiqués qui datent de six jours. Convoquez Mac-Leod.
- Ceci constitue l'ensemble des documents qui vous sont parvenus Seymour ?
- Oui mon Général
- C'est bon Seymour. Merci
Le lieutenant Seymour retourne dans l'oubli. Le rôle qu'il a joué dans la guerre a duré moins de cinq minutes.
Le général Mac-Leod s'y attendait, mais les jours passant, il était convaincu que l'état-major approuvait les manœuvres de Bourgoin. Il s'en étonnait un peu, mais n'étant pas dans le secret des Dieux, il avait préféré rester passif.
C'est inimaginable hurle Bedell-Smith, mais qui ? qui a donné l'ordre de ce rassemblement insensé ? D'une heure à l'autre les Allemands peuvent balayer cette position indéfendable, libérer leurs divisions de Bretagne et nous foutre sur les reins en Normandie une offensive de 150 000 hommes ! Tout ça parce qu'une poignée de parachutistes entraînés à obéir depuis trois ans a décidé de faire une petite guerre à Part.
C'est un concours de circonstance mon général. Bourgoin s'est trouvé devant un fait accompli. Jusqu'à présent toutes les missions de sabotages qui ont été confiées au bataillon français ont été remplies, au-delà même.
Mais il est vital qu'ils continuent, vous le savez ! Transmettez sur l'heure un ordre de dispersion. Qu'ils reprennent leurs sabotages par petits groupes. Supprimez cette cible !
Deux heures plus tard, un message parvenait au PC de la Nouette à Saint-Marcel :

" EVITER A TOUT PRIX BATAILLE RANGEE – STOP – CONTINUEZ GUERILLA A OUTRANCE ET ARMEMENT F.F.I. – STOP 6 G2N2RAL MAC-LEOD "

18 Juin 1944. 3 h 30 du matin, heure solaire :
Deux voitures quittent la Feldgendarmerie de Ploërmel pour une patrouille. Paradoxalement, tandis qu'au sein des différents états-majors allemands, on s'interroge sur l'opportunité d'une attaque, tandis qu'on s'efforce d'évaluer la puissance des forces rassemblées au camp de Saint Marcel, la gendarmerie qui aurait dû être la première informée de la concentration ennemie a été laissée dans l'ignorance. Les feldgendarmes poursuivent leur travail de routine.
Les chauffeurs des deux tractions jaunâtres sont descendus faire tourner les moteurs usés, précédant leur six compagnons qui se brûlent la gorge en ingurgitant rapidement leur ersatz se café.
Dans un fracas pesant de bottes, les hommes font gémir l'escalier de bois vermoulu des locaux vétustes où sont basés les quatre-vingt-six feldgendarmes de Ploërmel. Sans s'échanger un mot, ils s'engouffrent dans les véhicules qui démarrent péniblement et s'engagent sur la nationale 166.
La nuit est encore épaisse. Des nappes de brume rasent la route par intermittence rt obligent fréquemment le chauffeur de tête à casser le rythme traînard et régulier de la voiture.
Huit kilomètres. La Chapelle-Caro. Les véhicules empruntent la bretelle qui va leur permettre de rejoindre la nationale 164 en direction de Malestroit.
De là leurs ordres du jour sont de s'engager sur la nationale 776 pendant 6 kilomètres; puis de prendre sur la droite vers Saint-Guyomard, la départementale 112 où ils rejoindront leur route de départ qui doit les conduire à Elven.
Passé Malestroit, ils ne connaissent plus la route, et le brouillard s'est épaissi. Les vieilles tractions avant gémissent en première, mettent près d'une demi-heure pour parcourir trois kilomètres. Il est 4 h 5. Les fentes timides des codes commencent à se confondre avec la lueur blême qui annonce l'approche du jour.
Sur la droite, les feldgendarmes aperçoivent une route secondaire. Ils n'hésitent pas, s'y engagent, persuadés qu'ils sont sur leur itinéraire. Une légère brise s'est levée; en quelques minutes, elle dissipe la brume. Les formes se précisent, la lugubre lande bretonne apparaît, larmoyante sous la rosée de l'aube.
4 h 20. Les deux tractions arrivent au bourg de Saint Marcel. Instantanément, les feldgendarmes s'aperçoivent de leur erreur. Ils s'arrêtent, déploient une carte sur le capot du premier véhicule, situent leur position, réalisent qu'ils se sont engagés à droite sur une départementale pratiquement parallèle à celle qu'ils devaient emprunter. Elle rejoint également la 166. Ils décident de ne bas rebrousser chemin et de continuer en direction de l'Abbaye.
C'est la route qui traverse en plein cœur le camp géant des parachutistes et des F.F.I.

Dans cette nuit du 17 au 18 juin, le lieutenant Pierre Marienne a souffert d'insomnie. Le message du général Mac-Léod reçu la veille au soir par Bourgoin l'a profondément troublé. Il ne peut se leurrer. Son honnêteté ne lui permet de minimiser le rôle essentiel qu'il a joué dans le rassemblement de Saint Marcel. Il sait que demain, se conformant aux consignes de Londres, Bourgoin décidera de la dispersion des 150 parachutistes et des 3000 patriotes auxquels il ordonnera d'éclater par groupe de trois ou quatre hommes. Ces groupes vont devenir pour les allemands un véritable gibier. Marienne sait que sur les patriotes, les neuf dixième n'ont aucune expérience militaire et qu'ils vont devenir une proie facile
A 4 h du matin, Marienne se lève. Il lace ses chaussures et va se raser à la pompe devant la ferme. Le caporal Pams le rejoint. Il porte sur le dos son bazooka anglais, le P.I.A.T. dont il se sert avec une habileté d'expert.
- Tombé du lit mon lieutenant
Marienne répond d'un vague grognement. Pams connait l'officier, juge plus prudent de poursuivre son chemin sans insister.
- C'est toi qui fait l'inspection des avant-postes, lance Marienne en enfilant sa veste camouflée.
- C'est vous-même qui m'avez désigné hier soir mon lieutenant.
- Je t'accompagne
Les deux hommes marchent dans les sentiers boueux d'un pas égal et régulier.
- Avec les 4 jeeps parachutées avant-hier, on fait les patrouilles à pied. C'est pas logique mon lieutenant.
- Footing matinal. On pense à votre santé, c'est tout.
Les deux parachutistes échangent quelques mots avec les groupes F.F.I des avant-gardes. Tout parait normal. Tout semble en ordre. Ils arrivent enfin au poste le plus avancé. Quatre patriotes servent un fusil mitrailleur de chaque côté de la route qui vient de Saint Marcel. Le barrage se trouve en avant du chemin qui mène au château des Hardys-Behelec. A cette position, non plus, rien à signaler. Marienne et Pams s'éloignent. Maintenant ils marchent sur la route. Il est 4 h 30 exactement lorsque le bruit des moteurs qui s'approchent les surprend. Ils se retournent intrigués. Machinalement Pams dispose son bazooka sur la saignée de son bras, prêt à intervenir. Marienne sort son colt, et d'un même bond, les parachutistes sautent dans un fossé à l'abri. Ils aperçoivent la première traction qui passe le barrage sans encombre, puis la seconde. Alors seulement, un patriote bondit hors de son refuge, hurlant d'une voix hystérique :
- Ce sont des boches, non de Dieu ! Arrêtez les ! Ce sont des boches !
- Le con, braille Pams ! Il peut pas tirer au lieu de gueuler ?
La première voiture n'est qu'à cinquante mètres d'eux. Elle avance très lentement. Pams prépare son engin antichar.
- Laisse passer la première, ordonne Marienne. Vérifions quand même. De toute façon, ils n'iront pas très loin.
Sans être décelé, les deux parachutistes reconnaissent sans peine les uniformes allemands. Pams tire sur le second véhicule qui est atteint de plein fouet. L'obus a déchiqueté les deux passagers avant, blessé grièvement un troisième à l'arrière. Indemne, le quatrième parvient à s'extraire de la voiture et bondit à travers champ dans une course folle. Marienne se lance à sa poursuite, tire au pistolet sans s'arrêter. L'Allemand se débarasse de son casque, de ses armes, de la plaque de la Feldgendarmerie, de sa vareuse, tout en continuant à courir en zigzags. Marienne vide son chargeur sans l'atteindre, puis il abandonne sa poursuite.
La seconde voiture ne parcourt qu'une vingtaine de mètres. Un bref combat s'engage entre les F.F.I et les feldgendarmes. Un Allemand est tué, les trois autres se rendent.
Cet incident va bouleverser les plans des états-majors : Le général Fahrmbacher ne peut plus attendre l'arrivée des blindés pour attaquer Saint Marcel, les parachutistes n'auront plus le temps d'exécuter les ordres de dispersion donnés par Londres.

L'attaque :
A 6 h 30, l'ordre d'attaquer le camp parvient à la garnison de la Wehrmacht de Malestroit. A 8 h 15, les premiers éléments allemands arrivent au bourg de Saint Marcel.
Le lieutenant Henri Corta a relaté la bataille dans son livre "Les bérets rouges". Il y participa. Je choisis de le citer, car nul ne pourrait sur un combat acharné, d'une telle confusion, relater les faits mieux qu'un combattant, qui vécut sur le terrain, les heures héroïques et tragiques du 18 juin 1944 :
" A peine la messe est elle terminée que des coups de feu éclatent, les rafales de F.M. se succèdent rapidement. Chacun regagne vivement son poster. On explique au plus vite à ces jeunes gens fougueux, comment se servir de leurs armes, et en avant, en ligne.
" La bagarre est déclenchée dans le même coin que la dernière fois. Les boches sont venus en nombre cette fois, mais croyant sans doute avoir affaire à un petit groupe de maquisards sans importance, les premières patrouilles arrivent isolées, à la file indienne, et se font décimer systématiquement. Avec des effectifs plus nombreux, de l'ordre de deux compagnies, ils occupent le village de Saint Marcel, et de là, se dirigent vers le secteur Marienne qui les reçoit sans faiblir. Les renforts allemands arrivent peu à pau et font une nouvelle attaque sur la compagnie Larralde, composée en majorité de parachutistes.
" Les Allemands se font tuer à une cadence vertigineuse. Ils avancent debout, au milieu des champs, sans comprendre ce qui se passe. A la longue, ils réagissent et constituent un front, une ligne de bataille qui leur permet d'avoir une idée concrète des fiorces en opposition. Ils installent des mitrailleuses et organisent des zones de feu, tatonnant de part et d'autre pour essayer de trouver le point faible et le forcer.
" Vers 9 h 15, après plusieurs attaques à la charnière des compagnies Larralde et Marienne, tenue par le lieutenant Lesecq, l'aspirant Mariani et quelques parachutistes, la ferme du Bois-Joly est prise par les Allemands. Ceux-ci du reste très méfiants se retirent très rapidement et s'installent dans les haies et les fossés. La pression allemande devient de plus en plus forte, ils essaient à tout prix de parvenir au Château Sainte-Gèneviève qu'ils imaginent être le P.C. Cette bâtisse est toujours occupée par Mme Bouvard et ses six enfants qui attendent dans le jardin que la bagarre s'arrête. Cette lutte étrange prend à nos yeux une signification extraordinaire : C'est pour beaucoup des nôtres le baptème du feu. Unis dans le combat, les jeunes F?F.I. se battent la rage au cœur. On voit de magnifiques scènes d'héroïsme. Le fils de Mme Bouvard, Loïc, qui a quinze ans, s'est débrouillé pour avoir une carabine américaine dont il ne se séparerait ^pas pour un empire. Il s'en sert vaillamment autour de la tournée des secteurs qu'il fait avec le capitaine Puech-Samson et dont il est l'agent de transmission. Son petit frère Guy-Michel, qui a treize ans, fait aussi des liaisons au milieu des rafales, tandis que Philippe, qui a onze ans, court dans le No man's land voir où en sont les allemands et revient nous prévenir.
" Les parachutistes sont extraordinaires de précision, de calme, de sang froid. Depuis deux ans qu'ils attendent ce combat, ils n'en perdent pas un instant. C'est autre chose que les manœuvres d'Ecosse : Ici, on est sûr de soi, on ne rampe pas inutilement. La moindre feuille est utilisée, on prend en passant quelques F.F.I. à l'abandon qui n'ont plus de liaison. C'est une véritable guerre de partisans, une nouvelle chouannerie. Les anciens de Libye retrouvent devant eux les parachutistes allemands de la fameuse division Kreta, qu'ils attaquèrent si souvent sur les pistes du désert ou sur les aérodromes de la côte méditerranéenne.
" La lutte est dure de part et d'autres, on ne fait pas de prisonniers, aussi nous nous battons avec l'ardeur des désespérés. Pas question de se rendre comme l'ordonnent les Allemands. Des rafales qui abattent les plus audacieux sont toutes nos réponses.
" Cependant, peu à peu, nous faiblissons. La compagnie Larralde a dû se replier. A l'aile gauche de cette compagnie, le château de Sainte-Geneviève n'est pas encore pris quoique les allemnds s'y acharnent. Le sergent Navaille bien connu des sportifs amateurs de boxe et de lutte sait ce qu'est une bagarre. Pendant trois ans, il a souffert dans les prisons allemandes et de Vichy. Sur un toît, tenant à lui seul une allée menant au château, malgré ses blessures au cou et au côté, il tient bon. Malgré son feu précis, quelques allemands réussissent à pénétrer dans la chambre au dessous de lui. Sans s'affoler, Navaille dégoupille une grenade, la laisse tomber dans la cheminée, et la oièce setrouve rapidement nettoyée.
" Des chasseurs de la R.A.F. arrivent et mitraillent les alentours pendant que nous ne bougeons pas afin d'éviter les erreurs. Les Allemands sont terrorisés.
" puis la lutte reprend avec le renfort de plusieurs équipes venus au secours des points menacés. Le sous-lieutenant Brès est tué d'une balle dans la tête, caractéristique du tir très précis des allemands. Les parachutistes Casa et Malbert meurent aussi. Le lieutenant Lesecq est sérieusement blessé à la jambe tandis que le capitaine Piech-Samson a la cuisse transpercée d'une balle. Le lieutenant de Camaret, blessé au cou déjà, a le bras droit cassé. Marienne, un immense bandeau teinté de rouge sur la tête et la figure couverte de sang se bat "comme un lion" déclarent à l'unanimité tous les maquisards.
" Le lieutenant Tisné attaque partout, étonnant de courage, fonce et nettoie tous les taillis qu'il rencontre. Il faut courir derrière lui pour le voir; il est insaisissable et rien ne l'arrête.
" Michel de Camaret et Roger de la Grandière, vieux compagnons de prison et d'évasion se retrouvent à la tête. Le premier malgré son bandage au bras, attaque partout où il faut, stimule les jeunes et les emmène avec lui.
" Tous deux, puis quelques autres rejoignent le sous-lieutenant Simon qui arrive à cet instant pour l'attaque de la ferme du Bois-Joly qui sera menée à un train d'enfer. Les Allemands décimés s'enfuient pendant que Simon tient fortement la position. Puis ces deux officiers continuent leur route plus au nord, déblaie la région de Sainte Geneviève avrc leur impétuosité habituelle.
" Sur tout le front, on entend prononcer un nom : "Marienne". C'est le type même du chef parachutiste. Il est partout à la fois, ranimant tous ces jeunes qui se lassent et faiblissent devant l'acharnement ennemi. Il n'a peur de rien, debout en plein combat, présentant son bandeau blanc comme une cible pour les uns, un panache pour les autres, Marienne est le symbole de cette union de combattants français qui luttent pour délivrer le sol, cette terre qu'ils veulent garder. Marienne, seul en jeep, parcourt tout le front, dégage ici, perce là, balaie lestroupes ennemies de ses rafales meurtrières. Dans les arbres les tireurs d'élite allemands se camouflent et descendent les nôtres. Marienne les arrose tout en passant. Les boches en tombent comme des mouches.
" Puis comme un souffle magique, un ordre passe de vouche en bouche, et comme une trainée de poudre, s'étend sur tout le front : "En avant". La nuit va venir bientôt et il faut à tout prix dégager tout cela pour pouvoir décrocher à minuit. Nous savons que des renforts d'artillerie et d'infanterie allemande se dirigent vers saint Marcel.
" On se rue sur les boches qui fuient de toutes parts. Des fossés sont pleins de cadavres, de fusils abandonnés, de casques perdus dans la hâte et la fuite.
" L'ennemi est débordé sous l'action puissante des Marienne, des Taylor, des Lagrandière et de Camaret, des Lesecq, des Tisné et des Brès, de tous nos vieux parachutistes aguerris et des maquisards éprouvés qui n'ont jamais accepté l'envahisseur.
" A la tombée de la nuit, nous sommes en bordure de Saint Marcel. Nous avons gagné trois kilomètres d'un seul élan. Il n'est pas question pour nous de tenir le village, cela ne servirait à rien. Nous nous replions sur nos postes tenus le matin. Nous nous y installons et attendons l'heure du décrochage.
" De temps en temps quelques égarés tirent, aussitôt une réponse claque dans la nuit. C'est maintenant le silence plus inquiétant que le fracas des combats. On se retourne pour voir son voisin couché à deux mètres de là. Le moindre bruit pzrait suspect. On tend l'oreille, on se lève tout doucement au dessus du talus, on jette un regard circulaire dans la nuit, puis on se rabaisse doucement, et on attend de nouveau jusqu'à l'heure convenue. Incertaine, la bagarre se ranime plus loin.
" Enfin voici l'heure de se replier sur Callac par une nuit d'encre et sous une pluie battante, salutaire, j'en suis sûr, pour plusieurs des nôtres. Un par un les groupes s'éclipsent. Comme un bloc de gelée, le camp semble se liquéfier, perdre peu à peu sa structure et la base n'est bientôt plus qu'un coin dévasté. Tout ce qui a pu être emmené par voiture est emmené.
" Seuls restent deux camions, quatre tonnes de munitions et d'explosifs qui ne peuvent être évacués. Le capitaine Puech-Samson, qui refuse depuis l'après midi d'être évacué, reste seul avec quelques parachutistes. Malgré sa blessure, il fait un tour aux anciens emplacements des postes de surveillance et s'assure du décrochage. Puis il met le feu à la charge qui doit faire sauter les camions. Cinq secondes plus tard, on entend une détonation formidable et le ciel est illuminé d'une grande lueur rouge, visible à plusieurs kilomètres. "

Le retrait :
La bataille de Saint Marcel est terminée, la mission des S.A.S. continue. Plus que jamais, il est nécessaire d'empêcher les Allemands de dégarnir la Bretagne.
Toute la nuit, les parachutistes dispersés marchent malgré leur épuisement. La plupart d'entre eux se dirige vers les bois de Callac. Tous savent que l'heure des grands rassemblements est passée, qu'ils vont se trouver devant la forme de combat pour laquelle on les a entraînés; mais ils réalisent par contre que l'ennemi est maintenant conscient de leur présence, qu'ils vont être traqués.
A l'aube du 19 juin, le commandant Bourgoin, harassé, hébété, s'est assis sur une pierre. Les yeux vides, il regarde sans les voir les éléments épars de son unité. Les officiers évitent de lui demander des ordres, ils savent que leur chef n'en a aucun à leur transmettre.
Et pourtant malgré l'état d'épuisement des hommes, malgré la haine frénétique des Allemands décidés à en finir, leur honte rageuse devant les pertes infligées par un ennemi inférieur en nombre et en organisation, les parachutistes vont se réorganiser en moins de quarante huit heures. Tapis dans les bois et les forêts, par groupes de trois, quatre, cinq ou six maximum, ils brûlent du désir de repasser à l'offensive : le 21 juin, un groupe placé sous le commandement du lieutenant Alain de Kerillis reprend les actions de sabotages.
La fureur des Allemands atteint son paroxysme. Bourgoin et Marienne dont ils connaissent les noms deviennent des hommes à abattre. Leurs têtes sont mises à prix et dans tout le département commence une puérile et grotesque course au "colonel manchot".
Le 22 juin, l'étau se resserre autour de Bourgoin. Les Allemands ont appris que son PC se trouve dans les environs de Sérent. A l'aide de forces considérables, ils s'apprêtent à encercler toute la région.
Sur une mystification par un ancien colonel, manchot également mais de l'autre bras, les allemands se fourvoient et perdent un temps précieux.






La Mort du Lieutenant Marienne


Le 11 juillet 1944 :
Depuis trente cinq jours, les parachutistes tiennent les maquis bretons au cœur des divisions ennemies. Les sabotages, les actions de petits groupes se multiplient chaque nuit. D'héroïques et périlleuses misions sont menées à bien. Chaque jour, chaque nuit, des hommes tombent. Les S.A.S. sont devenus des loups qui se terrent dans les bois, mais le bilan de leurs exploits continuent à interdire aux troupes allemandes de Bretagne tout mouvement qui serait susceptible d'enrayer en Normandie la progression alliée vers l'Est.

Le sinistre quatuor du capitaine Herre est placé en demi-disgrâce. Des quelques parachutistes tombés entre leurs mains, sauvagement martyrisés souvent des jours entiers avant leur exécution, aucun n'a parlé. Aucun renseignement n'a même transpiré. La Gestapo, dont dépendent Herre, Zeller, Munoz et Gross, leur a fait entendre, qu'ils étaient en raison de leur inefficacité, sur le point d'être mutés dans une unité combattante du Front de l'Est. Et c'est un peu leur dernière carte que les quatre hommes jouent dans cette soirée du 11 juillet 1944, dirigeant leur traction civile vers le village de Guéhenno.
Munoz a revêtu l'uniforme d'un officier S.A.S., celui du lieutenant Gray, tombé dans leurs mains l'avant-veille. Zeller, ex-officier de marine, et Gross peuvent jouer les patriotes. Il a été convenu que Herre, que son accent allemand risquait de trahir, demeurerait au volant de la voiture.
Il est 22 heures lorsque la traction pénètre dans le bourg de Guéhenno. Il y a encore de la lumière dans le café. Herre continue cent mètres et s'arrête tous feux éteints. Zeller qui est vêtu d'une veste de paysan, d'un gros pull-over à col roulé et d'un pantalon de velours côtelé, descend. Après un coup d'œil, il pénètre dans le bistrot. Son apparition fige les occupants. Un silence pesant s'instaure. Il y a devant le zinc quatre solides gaillards. Derrière, le patron s'est mis instantanément à essuyer des verres pour se donner une contenance. Zeller lance un "Messieurs, bonsoir", qu'il veut jovial, mais ne reçoit en réponse que de vagues raclures de gorge. Les buveurs détournent les yeux, sirotent leurs verres par petites gorgées. Zeller n'est pas étonné de la réaction qu'il suscite. Il réclame :
- Patron, vous me donnez un coup de gnôle. Malgré l'été, les nuits sont fraîches chez vous.
- Dame, pour sûr, marmonne le bistrotier en servant l'alcool jaunâtre dans un verrre minuscule.
- Et remettez ça à ces messieurs, ajoute Zeller souriant, c'est ma tournée.
- On allait rentrer réplique Léon, un grand costaud d'une quarantaine d'années, en posant son verre vide.
- Allons, insiste aimablement Zeller, je sais bien que je ne suis pas du pays, mais je suis français comme vous. Dans les jours que nous traversons, nous n'allons tout de même pas nous méfier les uns des autres.
- Il a raison, interrompt Auguste qui semble plus jeune. Remets moi donc un coup de rouge, Louis.
Léon cède, commande lui-même une boisson en haussant les épaules; les deux autres l'imitent. Zeller lève son dé à coudre et ajoute :
- Je bois à l'avance alliée. Avant un mois les Américains seront à Paris.
Les quatre hommes vident leurs verres en silence.
- Mes prophéties n'ont pas l'air de vous faire plaisir poursuit Zeller. Vous ne me donnez pourtant pas l'impression d'être de ces salopards qui profitent de l'occupation.
- Ca me ferait mal lance Auguste en crachant à ses pieds. Remets nous ça Louis, on va boire à la Libération de la Bretagne.
- De lourds regards de désapprobation tombent sur le jeune garçon, mais ses compagnons ne laissent pas néanmoins leurs verres vides.
Une nouvelle tournée suit la précédente, puis une autre, enfin celle du patron. Sans brusquer les choses, Zeller établit habilement un climat de confiance, joue de son charme et de sa culture, puis se décide à abattre ses cartes :
- Je suis le commandant Henry, agent de liaison des Forces Françaises de l'Intérieur pour la zone Ouest. J'ai d'importants messages de Londres à transmettre au colonel Bourgouin ou à défaut au lieutenant Marienne. Peut-être pourriez vous m'aider à les rencontrer ? Je sais qu'ils sont quelque part dans la région.
En parlant Zeller a sorti de sa poche une carte d'identité parfaitement truquée qu'il tendu aux quatre gaillards, leur laissant le soin de la lire à loisir. Le grand Léon prend son compagnon de vitesse et répond :
- On est fier de vous connaître commandant, mais malheureusement, on peut rien pour vous. C'est la première fois qu'on entend ces noms là . On cause bien des parachutistes dans le coin, mais pour notre part, on n'en a jamais vu. Pas vrai les gars ?
- Pour sûr mentent en chœur les trois autres.
Zeller éclate de rire
- Je vous félicite, vous êtes prudents et vous avez raison, mais je vais vous présenter un argument qui va vous convaincre. Attendez moi deux minutes, buvez un coup, c'est pour moi.
Un bref instant plus tard, Zeller réapparaît suivi de Munoz dans son uniforme de lieutenant S.A.S.
- Voici le lieutenant Caro, présente-t-il. Il a été parachuté la nuit dernière dans la région de Rennes. Il a rempli sa mission et doit maintenant rejoindre les siens.
Le pseudo parachutiste serre les mains des cinq Bretons qui sont instantanément bernés à la vue de l'uniforme qu'ils connaissent parfaitement. Aucun doute bne subsiste dans leur esprit, et c'est Léon, le plus méfiant, qui, le premier, fait amende honorable.
- Faut nous comprendre, mon commandant. On nous a dit que les Allemands avaient de fausses cartes de résistants; les paras, eux-mêmes nous recommandent de nous méfier de tout et de tous.
En souriant, Munoz prend Léon par les épaules et lance gaiement :
- Dis donc. Le commandant et moi, on a l'air d'Allemands, à ton avis ?
Tous éclatent de rire. Munoz commande une nouvelle tournée.
- Si vous acceptez ma monnaie, ajoute-t-il, je n'ai rien d'autre.
Il exhibe une liasse de billets de la Libération frappés en Angleterre.
- Ca fait déjà un bout de temps que ça roule par là ces billets, admet le bistrotier en servant les verres.
Sur un ton indifférent, s'adressant à Zeller, Munoz enchaîne :
- Et le Manchot ? Ils nous conduisent ?
C'est Auguste le jeune qui répond :
- Le Bourgouin, on sait point où ils se trouve, mais Marienne vous le dira bien … Et Marienne, pour sûr, vous pourrez le trouver, vu que depuis hier, c'est moi qui le ravitaille…
- Eh bien, vrai, s'exclame Zeller, on peut dire qu'on est tombé dans le mille. Le Dieu des parachutistes est avec nous.
Munoz sort de sa poche plaquée de son pantalon une carte d'état major imprimée sur soie. Il n'a oublié aucun des astucieux accessoires pillés sur le cadavre du lieutenant Gray.
- La ferme de Kerhuel, chez les Gicquello, explique Auguste, en désignant un point sur la carte. Mais méfiez vous, à trois cent mètres, là, au croisement des sentiers, il y a le poste de garde, et les bonhommes ont la gâchette tendre.
- T'en fais pas, c'est pas à nous qu'ils en veulent
- Ca, on s'en douterait, fait finement remarquer Léon en riant.
Les deux traitres quittent le café après d'ultimes tapes dans le dos, et regagnent la traction où ils retrouvent Herre et Gross qui sont mis au courant en quelques mots.
Vous auriez dû vous renseigner sur l'effectil dont ils disposent fait remarquer Herre.
Il ne faut jamais abuser de la crédulité des cons tranche Zeller. Un détail insignifiant aurait pu leur faire dresser l'oreille
Dans ce cas ordonne Herre, nous allons faire la connaissance du Feldwebehr ¨Köln. Il est arrivé à Josselin le 6 juillet à la tête d'un détachement de votre milice. Nous attaquerons ensemble la ferme de Kerhuel à l'aube.

Köln et Di Constanzo :
S’étant vu confier la responsabilité d’une soixantaine de voyous français appartenant à la " Milice Perrot ", le Feldwebel Köln, sous officier de la Gestapo aux pouvoirs extraordinaires, fut sans doute l'un des plus révoltants sadiques que connurent les Services Spéciaux Nazis.
A Josselin il est secondé par un Français, Di Constanzo. Le Sonderkommando est itinérant; la poignée de "Francs-Gardes" qui le compose demeure rarement plus de deux semaines dans l'une ou l'autre des villes du Morbihan.
La quatuor de l'Abwer arrive au cantonnement provisoire des miliciens vers 23 heures. Köln le reçoit immédiatement. En raison de la présence de Di Constanzo et de deux "francs-gardes", la conversation se déroule en Français. Herre et Köln le parle parfaitement. C'est au dessus d'une carte détaillée de la région que se poursuit rapidement le dialogue.
Je suis au regret Herre, mais je refuse catégoriquement d'appliquer votre plan conclut Köln. Encercler la ferme comporte de trop gros risques. L'attaquer de front permettrait à Marienne et ses hommes de fuir. Pour monter sans casse l'opération telle que vous l'entendez, l'effectif d'un bataillon serait nécessaire. Nous ne disposons même pas d'une compagnie.
- Alors, il faut alerter la Wermacht.
- A votre guise, mais ne comptez pas sur moi pour ça non plus. D'après vos propres informations, Marienne et ses terroristes sont tout au plus une dizaine. Je ne me vois pas réclamer l'intervention de plusieurs centaines de fantassins pour en venir à bout.
- Enfin Bon Dieu, Köln, vous mêle à l'instant …
- Köln se lève; son visage se tend.
- Vous avez mal compris. Marienne, c'est votre problème, pas le mien. Il y a près df'un mois que vous courez après votre proie sans succès. Libre à vous de prévenir l'armée, je ne suis pas votre nourrice.
- Si je comprends bien, vous suggérez que nous l'attaquions tous les quatre ?
- Evidemment, et par surprise
- C'est un sacré coup de dés §
- La guerre n'est qu'une succession de coups de dés.
Sous les regards goguenards de Di Constanzo et des deux "Francs-Gardes", Herre et les siens quittent le siège de la Milice et gagnent dans la nuit poisseuse leur vieille traction avant.
Herre demeure un long moment songeur. Il ne démarre pas et allume une cigarette. Des quatre, il est le moins tenté par cette opération surprise, suggérée par Köln. Zeller prend la parole :
- Je crains que nous n'ayons pas le choix. Cette ordure de milicien boit du petit lait, car il sait qu'il a raison. Il a sans aucun doute fourré son nez dans les fiches qui nous concernent. Il sait qu'on commence à nous prendre pour des guignols. Si nous réclamons de l'aide cette nuit, on va en outre, nous prendre pour des lavettes, et nous risquons salement de nous faire rayer des effectifs de l'Abwehr. Köln et ses salopards deviendraient maître du renserignement en Bretagne. A n'en pas douter, c'est ce qu'ils recherchent.
- Arrêtez d'énoncer des évidences, tranche Herre, en actionnant le démarreur. Je sais tout ça aussi bien que vous. C'est bon, allons y.

Le 12 Juillet 1944 :
A 2 kilomètres de la ferme de Kerhuel, à 1 heure du matin.
Herre a trouvé un abri dans un chantier en retrait de la petite route. Il a décidé de se reposer deux heures, puis dans celle qui suivrait de mettre au point un plan d'action. Enfin juste avant l'aube, les quatre hommes tenteraient de surprendre le camp de parachutistes. Chacun d'eux possède un pistolet parabellum 9 mm et une mitraillette Sten de marque anglaise. En outre dans le coffre de la voiture, ils ont une caisse de grenades italiennes excessivement maniables et légères.
3 H 45. Malgré la réticence et la frayeur évidente de Munoz, il a été décidé que celui-ci prendrait place dans son uniforme anglais, sur l'aile avant de la traction dans le but de berner les hommes du poste de garde
4 H 5. La traction progresse à toute petite allure sur le sentier. Munoz est décomposé par la panique. Il se tient d'une main au capot, de l'autre, il malaxe son genou droit. Il maintient son équilibre en calant les talons de ses bottes sur pare-chocs.
L'homme du poste de garde est un F.F.I. Il a relevé quelques instants plus tôt le caporal Pacifici de l'équipe Marienne. Le jour pointe timidement, mais de toute façon la nuit est si claire que le patriote n'aurait pu ne pas distinguer l'uniforme.
Sans méfiance il sort à découvert sur le chemin. Il n'a aucune arme apparente, ce qui donne à Muloz la force de se ressaisir et de prononcer avec un calme relatif :
- On cherche le lieutenant Marienne, tu peux nous conduire ?
- Je peux pas bouger, je suis en facction, mon lieutenant. Mais demandez à la ferme, un gars ira le prévenir
- D'accord, merci
- A vos ordres, mon lieutenant.
Le patriote n'a pour les occupants de la voiture qu'un regard indifférent. L'équipage n'a rien d'insolite. Il est devenu courant que des responsables civils de la Résistance soient convoyés ou convoient un officier parachutiste. Herre stoppe la voiture devant la cour de la ferme. Les trois Français en descendent et s'avancent prudemment vers le bâtiment tandis que l'Allemand effectue un demi tour avant de les rejoindre.
Zeller, qui des quatre hommes est le plus téméraire, pénètre en tête dans la salle de ferme, suivi de Munoz. Une douzaine d'hommes dorment à même le sol. Zeller se retourne vers les siens. D'un œil rapide, il constate qu'ils se placent habilement, prévenant ainsi une réaction imprévue des résistants.
Zeller s'accroupit près de l'un des dormeurs et le réveille précautionneusement. L(homme ouvre péniblement les yeux, ahuri, il dévisage sans inquiétude le nouveau venu dont la physionomie est paisible et souriante :
- Je suis le Commandant Henry des Forces françaises de l'Intérieur de Rennes, murmure Zeller. Nous avons des consignes de Londres à transmettre à Marienne. Tu vas aller le prévenir. Inutile de réveiller les autres, ils vont avoir une dure journée.
L'homme est maintenant réveillé, il porte un regard interrogateur sur Munoz qui acquiesce. Une fois encore, l'uniforme dupe parfaitement le résistant. Il se lève en silence, enfile sans les lacer ses lourds godillots et sort suivi des quatre traîtres.
- Ils sont sept dans les tentes en contrebas, là, explique-t-il, mais je ne sais pas dans laquelle est le lieutenant. Il change tout le temps.
- Réveille les tous, dis leur de nous rejoindre, ordonne Zeller. Comme ça, je n'aurai pas à me répéter.
Le F .F.I. descend lourdement le champ humide et boueux
- Passe devant moi, chuchote Muller à Munoz. Tiens-toi debout qu'ils puissent voir ton uniforme
Marienne apparaît. En bouclant son ceinturon, il gravit le mamelon, suivi de cinq parachutistes. Un peu en retrait, le sergent Judet met un genou à terre pour attacher les boucles de ses bottes de saut. Le lieutenant Marienne et les cinq autres les avaient conservées pour dormir.
Marienne marche vers Munoz. Lorsqu'il parvient à quelques mètres de lui, il découvre ses trois compagnons, et son instinct s'éveille. La manière dont les hommes de l'Abwehr tiennent leurs mitraillettes armées, doigt sur la gâchette, les trahit. Marienne se fige.
- Feu ! hurle Zeller.
Les quatre mitraillettes crépitent. Marienne s'écroule atteint d'une rafale en pleine poitrine. Le lieutenant Martin qui se tenait à ses côtés est tué sur le coup d'une balle en plein front. Mendes, Beaujean, Bléttrie et Marty sont grièvement blessés ainsi que le F.F.I qui avait été les prévenir.
Les traîtres pivotent, font un bond vers la salle de ferme, tenant en respect les résistants surpris en plein sommeil par le fracas des armes.
A une dizaine de mètres derrière Marienne, le sergent Judet s'est élancé. Il a roulé dans un fossé, puis en zig-zag, il s'est mis à courir. Des quelques coups de feu qu'il a essuyé, aucun ne l'a atteint. La poursuite n'est pas envisageable et Herre peste. Le parachutiste risque d'aller chercher du renfort. Il faut faire vite.
Les douze F.F.I. survivants, mains sur la nuque sont tirés à l'extérieur. Zeller lzes fait coucher sur l'aire à battre, à plat ventre, visage contre terre.
- On va vous attacher les mains derrière le dos, a expliqué Zeller pour tromper leur méfiance. Croisez vos poignets sur vos reins..
Les malheureux s'exécutent. Certains d'entre eux n'ont pas leurs pantalons et sont pieds nus.
L'un après l'autre, les quatre bourreaux ont remplacé les chargeurs de leurs armes. Sur un signe du capitaine Herre, ils ouvrent le feu à bout portant sur les corps inertes. Des chapelets de balles criblent les nuques des F.F.I. Aucun d'entre eux n'a eu le temps de tenter quoi que ce soit. Herre et Zeller distribuent ensuite d'ultimes coups de réévolver dans la tête des résistants. Munoz et Gross posent alors leurs armes et retournent les corps, les fouillent, pillant les portefeuilles, les papiers personnels, les montres.
Lorsqu'ils rejoignent leurs chefs ils sont couverts de sang.
- Bon. Filons en vitesse maintenant, annonce calmement Zeller.
- Marienne et les paras ? Intervient Herre.
- Transportez-les avec les autres.
Le quatuor se dirige vers le camp des parachutistes, Marienne vit encore. Il est traîné, mourant, sur l'aire à battre, jeté à plat ventre auprès des suppliciés. Zeller lui tire un chargeur entier derrière l'oreille. Les quatre hommes quittent alors la cour de la ferme et s'engouffre dans la voiture.
A quelques mètres du drame, en surplomb, dissimulé dans un tas de foin, le jeune Flamant, benjamin des parachutistes du groupe du lieutenant Marienne, a assisté impuissant à toute la scène.

Source :
Cette fin du lieutenant Marienne par Paul Bonnecarere dans le livre "Qui Ose Vaincra" est moins vraisemblable que celle qui suit avec Zeller par Kristian Hamon dans le Livre "Le Bezen Perrot"
Kôln et DiConstanzo ne pouvaient laisser faire pareille opération sans participer.


Zeller

Lors du procès de Le Ruyet, les juges estimeront qu'il a été responsable de la mort d'une trentaine de Patriotes. (Le Ruyet sera fusillé le 5 novembre 1946).
Les Allemands peuvent également compter sur divers supplétifs agissant à titre individuel et issus de différents mouvements collaborationnistes..
Le cas le plus connu est celui de Maurice Zeller, d'Erquy, dans les Côtes du Nord. Cet ancien officier de marine, remercié avant guerre, car un peu trop porté sur les stupéfiants, s'engage à la LVF comme capitaine. De retour du Front Russe, il devient délégué départemental du PPF pour les Côtes du Nord, mais s'occupe surtout du recrutement pour la LVF. Les recrues ne se bousculent pas, Zeller travaille pour le SD sous le N° 205. C'est ce numéro qu'on retrouvera avec la mention "Vermerk SR 205" sur une liste établie par le CIC américain à la Libération "Zeller Maurice. PPF. Erquy. SR 205".
Le 22 mars 1943, il demande pour la deuxième fois l'arrestation du commandant Chabet, d'Erquy. Il est également signalé à Pontivy parmi les FAT (troupes de reconnaissance) pour lutter contre la Résistance. Il arrête à Douarnenez l'abbé Cariou qui s'occupait de départs vers l'Angleterre, puis le directeur du lycée du Lykès de Quimper.
Zeller passe ensuite dans le Morbihan où on le retrouve le 12 juillet 1944 à cinq heures du matin, à la tête d'un convoi de trois voitures et d'une douzaine de miliciens accompagnés de soldats allemands qui surprennent dans leur sommeil des résistants qui avaient établi leur campement mal gardé au village de Kerhuel en Plumelec.
Ces résistants parmi lesquels figurent plusieurs parachutistes SAS – des militaires français en uniformes – sont arrêtés, désarmés, couchés à terre face contre le sol, puis fusillés sur le champ sans autre forme de procès. Leurs corps seront jetés sur un tas de fumier, préalablement arrosé d'essence, puis incendié. Parmi les 18 victimes, figure le lieutenant Marienne, parachuté le 6 juin 1944, et qui avait installé là, son PC après la chute du maquis de Saint Marcel le 19 juin. Le groupe avait été localisé à la suite d'une imprudence d'un résistant, mis en confiance par un acolyte de Zeller, un certain Munoz, habillé en parachutiste.
Les conséquences de cette opération vont être dramatiques, car des papiers compromettants sont découverts dans les vêtements de "Marienne". Les Allemands possèdent désormais plusieurs listes de patriotes et notamment les noms de paysans et de hameaux leur servant de refuge, ainsi que des plans avec indication des dépôts d'armes. Zeller et sa bande ne résisteront pas à la tentation de se faire photographier devant leurs victimes.
La présence d'agents français du SRA 'Service de Renseignement Allemand) d'Angers est également est également attestée dans la région de Pontivy, Callac et Bourbriac en juillet 1944. Dirigée par un Allemand, l'équipe est logée à l'Hôtel des Voyageurs de Pontivy

Source : Livre "Le Bezen Perrot" de Kristian Hamon

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